Note de lecture

P. Conesa : Derrière le djihadisme, l’Arabie saoudite

par Ilse Ermen. 27 décembre 2016

Pierre Conesa, Dr. Saoud et Mr. Djihad. La diplomatie religieuse de l’Arabie Saoudite, Robert Laffont, 2016, 306 p., 20 €.

Ce livre pourrait s’intituler "Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les machinations de l’Arabie Saoudite" – pour tout ceux qui se demandent qui finance les menées et les partis islamistes, et comment. L’auteur souligne bien sûr que les Saoudiens ne sont pas seuls – ne négligeons pas le Qatar, l’Iran et d’autres, comme Gilles Kepel ne cesse de le rappeler –, mais il se concentre sur le principal bailleur de fonds, et dresse un bilan quasi exhaustif.

Pierre Conesa commence par un précis de l’histoire saoudienne depuis l’avènement du wahhabisme au XVIIIe siècle jusqu’à l’établissement du régime actuel ; il décrit ensuite les rouages du marché pétrolier, l’action de l’Arabie saoudite contre les régimes arabes « progressistes » avec la bienveillance si ce n’est le parrainage occidental (un allié religieux réactionnaire est toujours le bienvenu contre un ennemi socialiste), puis les tensions du royaume avec le nouvel usurpateur de l’ « unique vraie foi », l’Iran de l’ayatollah Khomeini. Un chapitre est dédié au rôle déterminant des Saoudiens en Afghanistan – quoique l’empire féodal n’a rien d’un "damné de la terre", les islamo-gauchistes oublient souvent que les Etats-Unis n’étaient pas seuls pour former les talibans.

Un autre chapitre fait le tour d’horizon des financements saoudo-islamistes dans le monde et en dépeint les effets, notamment la propagation en Occident du salafisme, qui y était quasi-absent dans les années 1980. Par exemple, l’Allemagne a in extremis empêché le financement saoudien de mosquées pour les réfugiés (d’ailleurs, une organisation salafiste y a été récemment interdite : http://hpd.de/artikel/innenministerium-verbietet-islamisten-netzwerk-13779 , 16 novembre 2016).

Pierre Conesa fait un sort au mythe d’un salafisme "quiétiste" qui n’aurait rien avoir avec sa version radicale ou avec le djihadisme : "Penser qu’il existerait un salafisme « quiétiste » tolérable est à peu près aussi aveuglant que penser que le nazisme pouvait avoir une forme pacifiste et tolérante, ou qu’il pouvait exister un communisme démocratique" (p. 21). Suivent des données sur les départs en djihad, qui permettent de battre en brèche un autre mythe dangereux : celui qui voudrait que la laïcité française discriminante pousserait les musulmans dans les bras de l’Etat islamique. En réalité, quand on décompte les départs en pourcentage de la population – Conesa est l’un des seuls à le faire –, c’est la Belgique qui est en tête, « malgré » le soutien de l’Etat aux communautés religieuses, y compris musulmanes. Arrivent ensuite la Suède et le Danemark, où le protestantisme est, ou était il y a peu, religion d’Etat. La France n’occupe que le quatrième rang. Et par rapport au nombre total d’habitants musulmans, c’est l’Irlande très catholique qui affiche le triste record des départs en djihad !

Une analyse plus fine exigerait de se pencher sur l’origine des ressortissants musulmans dans les différents pays touchés par les départs. On peut penser avec Caroline Fourest que sont d’abord concernées les populations d’origine arabe ou d’Etats qui se veulent arabes (ex. les pays du Maghreb, malgré les fortes minorités berbères), car nombre de musulmans arabes se considèrent comme partie prenante d’une nation élue de la révélation. Il faudrait également prendre en compte le but de l’immigration et le niveau d’éducation. Dans la liste de Conesa, la Grande Bretagne et l’Allemagne sont les pays les moins « pourvoyeurs » en djihadistes ; or, comme on sait, les immigrés britanniques et allemands sont majoritairement d’origines respectivement indo-pakistanaise et turque (n’oublions pas l’histoire laïque de la patrie d’Ataturk, méthodiquement mise en pièce par Erdogan).

L’auteur fournit des sources, des sources et encore des sources. Le style est élégant et plein d’humour, le bouquin serait un vrai régal si les faits relatés n’étaient pas aussi alarmants. Une arme très utile contre le discours obscurantiste, à recommander.

Ilse Ermen


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