Revue de presse

P. Bruckner : "C’est par altruisme désormais qu’on a le droit de haïr les juifs" (marianne.net , 5 juil. 24)

Pascal Bruckner, philosophe, auteur de "Je souffre donc je suis. Portrait de la victime en héros" (Grasset, 2024). 16 juillet 2024

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L’écrivain et philosophe Pascal Bruckner, auteur de l’ouvrage « Je souffre donc je suis. Portrait de la victime en héros » (Grasset, 2024) revient sur la place de l’antisémitisme dans la campagne des législatives.

Propos recueillis par Rachel Binhas

Marianne : Après avoir eu la volonté d’écarter le Rassemblement National, des électeurs de tout bord estiment aujourd’hui qu’il faut lutter avant tout contre LFI au nom de l’antisémitisme. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Pascal Bruckner : C’est un réflexe plutôt sain que de vouloir mettre à distance un parti politique dont ses représentants tiennent des propos ambigus sur les juifs. En fait, la gauche sociale-démocrate a commis une faute en s’associant à la France Insoumise.

Au lendemain des élections européennes, Raphaël Glucksmann aurait dû créer un mouvement populaire de gauche républicaine et rompre avec Mélenchon. Les caciques en ont décidé autrement et sont allés à la soupe. Olivier Faure, Marine Tondelier, Fabien Roussel se sont pliés sous les fourches caudines de la France Insoumise : le mariage des carpettes et du lapin.

Désormais, chacun essaie de profiter de la situation pour se replacer, en premier lieu François Hollande qui veut apaiser la blessure de 2016 et jouer à nouveau un rôle dans une gauche recomposée. Reste que cette compromission se fera peut-être, au final, au détriment de la France Insoumise dont les outrances répugnent à une majorité de Français. Force est de constater que pour beaucoup, l’antisémitisme de gauche serait cool, sympa, circonstanciel, aimable et justifiable.

Pourquoi, diable, subordonner la politique française à la Palestine ? En quoi cela nous concerne-t-il ? La cause est douloureuse, sans doute, mais pourquoi la Palestine plus que le Soudan ou le Kurdistan ? Vous connaissez la réponse : car les Palestiniens sont opprimés ou tués par des Juifs. « Savez-vous pourquoi nous sommes célèbres, nous autres palestiniens ? Parce que vous êtes notre ennemi. L’intérêt pour la question palestinienne a découlé de l’intérêt porté à la question juive. Oui. C’est à vous qu’on s’intéresse, pas à moi ! Si nous étions en guerre avec le Pakistan, personne n’aurait entendu parler de moi » écrivait le poète palestinien Mahmoud Darwich, mort en 2008.

Les Israéliens étant juifs, leurs victimes ont donc une valeur qu’ils n’auraient pas si elles étaient tuées par des Arabes. Une certaine gauche règle ses problèmes avec la question juive via les Palestiniens.

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Les déclarations antisionistes, pour certaines qui flirtent avec l’antisémitisme, payent-elles électoralement ?

Auprès de qui ? De la gauche du ressentiment, ce que Régis Debray nomme « le prolétariat intellectuel », les enseignants, les employés de mairie, des anciens journalistes mécontents de leur sort ? Dans les banlieues ? Je remarque d’ailleurs que les banlieues ne se sont pas soulevées, pas plus d’ailleurs que la rue arabe.

Mais si l’on continue à répéter que s’ils sont malheureux c’est à cause des Juifs, cela va finir par marquer les esprits. Je note l’invention géniale et funeste que représente « l’islamophobie », vieux terme repris par les islamistes à propos de l’affaire Salman Rushdie dans les années 80. Toute critique de l’islam serait donc un racisme, voire, aujourd’hui, le racisme suprême. Quelle farce ! Le reste ne serait que survivance du passé, résidu de sombres temps. Dernièrement, dans un sketch, Blanche Gardin est tombée dans le conformisme antisioniste, et a, à cette occasion, comparé Sophia Aram à un « herpès », déshumanisant ainsi son adversaire. Mais ce sont les Juifs en France que l’on tue, pourchasse, insulte depuis 20 ans !

Dans quelle mesure les origines antisémites de certains fondateurs du FN sont-elles encore d’actualité ?

Le Rassemblement national est un conglomérat dont on a raison de se méfier. Plusieurs courants dans le parti peuvent être associés à cette passion, les vieux démons sont toujours vivants. Bien que peu nombreux, ils sont toujours là, à titre de témoin des origines. On ne peut pas les négliger ou les oublier malgré le ripolinage de façade des cadres qui insistent sur le costume cravate, la bonne éducation. C’est plutôt habile de leur part. Quoi qu’il en soit, on ne peut jamais se garder d’un retour du refoulé.

Il n’est pas sûr néanmoins que le RN tombe dans ce piège funeste, il va continuer de se lisser jusqu’au jour peut-être ou il tombera le masque.

Nouvel antisémitisme de gauche, vieille judéophobie de droite… Quel antisémitisme est le plus dangereux aujourd’hui ?

Le dernier né est toujours le plus dangereux car le plus actif ! Dans l’immédiat, il s’agit de limiter les dégâts en empêchant le RN d’avoir une majorité trop confortable, ce qui semble acquis. Mais il faut combattre la France insoumise sans pitié, cette tumeur fasciste de gauche, et montrer le danger qu’elle représente aux inconscients qui ont signé avec elle.

Que représente d’après vous l’antisionisme actuel en France ?

Tout d’abord, il s’agit d’une préoccupation particulièrement minoritaire, située à l’extrême gauche. On la retrouve dans une sphère médiatique et au sein de petits cercles de spécialistes du Proche Orient. Les sondages ont montré que les Français, depuis le 7 octobre soutiennent plutôt Israël dans sa lutte contre le Hamas. Le Bataclan est passé par là !

Critiquer le gouvernement d’un pays qui l’a élu démocratiquement est une chose légitime, l’antisionisme en est une autre. Le sionisme étant un projet national, l’antisionisme est la négation du droit à l’existence d’Israël. Il porte le projet de la disparition de l’État hébreu.

C’est peut-être davantage une obsession occidentale qu’orientale d’ailleurs. Bien des pays arabes commercent avec Jérusalem et veulent d’abord combattre l’ennemi iranien présent à travers le Hezbollah, le Hamas, les Houthis et les Frères musulmans. Les meilleurs alliés d’Israël aujourd’hui sont Le Caire, Amman, Ryad : sacré paradoxe !

À travers l’antisionisme, c’est la question juive qui est exportée hors de son aire d’origine. De nos jours, c’est par antiracisme que l’on se dit antisioniste, car l’Israélien serait lui-même colonialiste et raciste. On en est arrivé à cette monstruosité sémantique : seules la droite ou l’extrême droite seraient favorables à Israël, être progressiste, à l’inverse, c’est céder à un antisémitisme de bon aloi.

La vieille judéophobie de la droite, cette passion séculaire, a migré à gauche sous l’appellation d’antisionisme. C’est par altruisme désormais qu’on a le droit de haïr les juifs : tel est le cauchemar que nous affrontons aujourd’hui.


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