Revue de presse

P. Bruckner : « Américains, venez vous réfugier en France ! » (Le Point, 15 av. 21)

Pascal Bruckner, philosophe, auteur d’ "Un Coupable presque parfait" (Grasset, 2020). 25 avril 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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"En 1984, je rencontrais avec quelques amis à Paris l’écrivain afro-américain James Baldwin, réfugié en France depuis 1948 (comme Richard Wright, arrivé en 1946, Chester Himes, en 1953, Sidney Bechet, en 1949). Déjà malade mais toujours combatif, il nous expliqua, autour d’un verre, à quel point la patrie de Voltaire et d’Hugo lui avait sauvé la vie : pas une fois, on ne l’avait importuné pour sa couleur de peau et ce qu’on n’appelait pas encore son « orientation sexuelle »(il préférait les hommes). Curieusement, c’est le désintérêt des Français à son égard qui l’avait libéré. Il précisera dans un texte : « Les Français ne me voyaient pas. Certains individus ont quand même pris soin de moi sinon je serais probablement mort de faim. Mais les Français m’ont laissé tranquille. Ils m’ont débarrassé des béquilles de la race. [...]

Une autre Américaine naturalisée française, Joséphine Baker (1906-1975), danseuse, chanteuse et grande résistante, déclara, le 12 mai 1957 au congrès de la Lica (future Licra) : « Quand je suis arrivée à Paris, en 1925, je me suis trouvée devant des gens comme vous. J’étais alors heureuse de sentir tout de même dans la rue que je pouvais demander un taxi sans avoir la crainte qu’il refuse de me prendre. J’étais aussi heureuse de penser que si j’avais faim, je pouvais m’arrêter dans n’importe quel restaurant. Quand j’ai été malade, j’ai été si heureuse de penser qu’un médecin blanc et aussi une infirmière blanche n’avaient pas honte de me toucher. Ils ont lutté pour ma vie, ici, en France : je vous en suis reconnaissante. Vous m’avez sauvée. […] Personne ne me disait “noire”. Personne ne me disait : “négresse”, mot qui me blessait terriblement. »

L’Amérique de 2021 n’est plus celle des années 1940-1950. La révolution des droits civiques est passée par là. Mais elle combat le racisme dans les termes du racisme, en incarcérant chacun dans son ethnie, sa communauté. Elle coud chaque citoyen dans sa peau comme dans un sac d’où il ne peut sortir. [...]

Il est peut-être temps alors, pour les Américains épris de liberté, de raviver la tradition de l’exil vers Paris. Tel l’écrivain afro-américain Thomas William Chatterton, marié à une Française et père d’une petite fille blonde aux yeux bleus, qui a décidé de s’installer chez nous. « En France, j’ai l’impression de quitter le psychodrame racial que traverse l’Amérique pour exister dans une société qui se considère comme aveugle à la couleur de peau. Et c’est vraiment une libération. »

Il y a bien sûr du racisme en France ou plutôt des racismes multiples et réciproques : il n’empêche que, spontanément dans l’Hexagone, nous jugeons les gens sur leurs qualités individuelles et non leur épiderme. Nous croyons dans l’émancipation des personnes et non dans la fatalité des gènes. Certes, une minorité bruyante de néoféministes et indigénistes, serviles perroquets de l’empire, souhaitent importer ici l’idéologie pigmentaire du Nouveau Monde. Heureusement les Français résistent, ils s’insurgent, au grand dam du New York Times et du Washington Post, jadis prestigieux journaux, désormais préposés à la rééducation des peuples réfractaires.

À tous les citoyens américains qui ne supportent plus l’atmosphère d’obscurantisme et de censure de leur nation, proclamons haut et fort que la France est prête à les accueillir comme elle sut accueillir, après la Seconde Guerre mondiale, des centaines de jazzmen ou intellectuels afro-américains, victimes de la ségrégation. Venez vous réfugier dans la civilisation de l’art de vivre et de la conversation entre les sexes. Nous vous attendons. « Il y a plus de liberté dans un seul pâté de maisons à Paris que dans tous les États-Unis » (Richard Wright)."

Lire "Américains, venez vous réfugier en France !"


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Le Point : "Jusqu’où iront les racialistes ?" (15 av. 21) (note du CLR).


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