Revue de presse

"Oui, nous devons continuer à critiquer les religions" (Y. Quiniou, liberation.fr , 22 sept. 14)

Yvon Quiniou est collaborateur d’"Actuel Marx" et de "La Pensée". 25 septembre 2014

"Stéphane Lavignotte (1), nous offre une présentation très aseptisée des religions, qui contraste avec la critique vive et injuste de ceux qui, comme moi, entendent en fournir une analyse critique intransigeante, quoique dépourvue du moindre aveuglement. Pourquoi et comment relancer cette réflexion critique ?

D’abord, parce qu’il y a bien, malgré une incontestable déchristianisation collective en Europe (mais pas partout), un retour clairement politique et réactionnaire du religieux dans le monde, y compris occidental, qui n’est pas seulement un recours à luix comme on a pu le soutenir. Il se traduit par une volonté des Eglises d’occuper l’espace public, de peser sur la définition des lois au Parlement européen, de fournir la base morale du lien social que le libéralisme, par ailleurs, détruit (voir Nicolas Sarkozy), comme si l’homme n’en était pas capable par lui-même.

Au Moyen-Orient, même si les dramatiques conflits qui s’y déroulent ont bien, ultimement, des causes socio-économiques, il se trouve que la religion dans ses divisions permanentes et son fanatisme renouvelé, ne cesse de fournir une structure d’accueil idéologique à cette violence, qui l’exacerbe à un point rare en la justifiant : c’est au nom de telle ou telle identité religieuse qu’on se tue, qu’on dilapide, qu’on fait la guerre, etc.

Aux Etats-Unis, la situation n’est pas meilleure. Je rappelle que 90 % des Américains se disent chrétiens, que les présidents prêtent serment sur la Bible et que la référence à Dieu figure sur le dollar, marquant clairement l’alliance de la Bourse et du goupillon. Mais surtout, sur le plan intellectuel, il y a tout un mouvement antiscientifique et antimatérialiste qui s’est développé, appuyé par des organisations financières, comme la Fondation Templeton, et relayé en France par les travaux de Jean Staune, qui vise à lutter contre le darwinisme au nom d’un créationnisme aux multiples visages. Il rejoint des mouvements comparables dans le monde musulman et si l’Eglise catholique a, enfin, reconnu l’évolutionnisme en 1996, elle y a mis bien du temps (plus d’un siècle) tout en amputant celui-ci de sa conséquence philosophique matérialiste.

Où voit-on ici un véritable progrès historique, politique, intellectuel et moral, des religions ?

Stéphane Lavignotte m’objectera la théologie de la libération. Mais pourquoi n’indique-t-il pas qu’elle a été mise à l’index dès lors qu’elle s’impliquait dans des mouvements politiques réellement émancipateurs en Amérique latine comme, autrefois, au Nicaragua ?

Et, s’il ajoute l’exemple des avancées, réelles, du pape François en direction des pauvres, pourquoi n’en mentionne-t-il pas la limite essentielle : l’option de l’Eglise en faveur de ceux-ci est « culturelle et théologique », elle n’est pas « politique » a-t-il pu dire récemment, ajoutant que l’Eglise n’a pas à « devenir une ONG ». Je trouve cette restriction scandaleuse et elle rejoint, d’ailleurs, la doctrine sociale officielle des catholiques : si elle dénonce les excès du capitalisme, elle légitime totalement la propriété privée de l’économie. Qu’il est loin le temps (les années 70) où les évêques de France autorisaient les croyants à choisir « le socialisme au nom de leur foi ! ».

On aura remarqué que tout ce qui précède ne vise en rien une religion appréhendée comme « un objet transcendant » (sic), mais une réalité religieuse concrète et changeante, multiple aussi, qui révèle d’étranges constantes entre notre présent et le passé, empiriquement vérifiables. On peut en dénoncer les défauts directement sur une base philosophique, comme l’ont fait tous les philosophes des Lumières, avec un courage rare qui les exposait à la censure ou à la répression. Spinoza, Hume, Kant, etc. ont tous récusé la superstition, le fanatisme, l’intolérance, la foi d’église irrationnelle, le culte déraisonnable (cette « folie religieuse » qui prétend nous faire mériter le ciel, disait Kant), l’appui donné aux pouvoirs dominants, les divisions entre elles, et j’en passe. Où voit-on que cela ait disparu ?

Par contre, il faut aller plus loin et, précisément, enraciner les religions dans la vie humaine, donc aussi dans l’histoire, pour les expliquer d’une manière matérialiste et mieux en faire le procès critique. Feuerbach, Marx, Nietzsche et Freud s’imposent ici, sur un terrain à la fois scientifique et normatif. Ils nous montrent que c’est l’homme qui fait les religions (et non l’inverse comme elles le croient) et ils révèlent en elles, sous des formes complémentaires, un terrible passif : elles sont hostiles à la science (cela a commencé avec Galilée), elles dénigrent et mutilent la vie (Nietzsche), elles se nourrissent de la détresse sociale des hommes et l’alimentent par le rêve d’un au-delà qui détourne des combats pour le bonheur et la justice ici-bas (Marx) et, enfin, elles alimentent son infantilisme (Freud).

C’est pour toutes ces raisons, qui n’ont rien de sectaire ou de spéculatif, que l’on doit continuer à les critiquer !

(1) « Les plus antireligieux ont la vision la moins laïque de la religion », interview parue dans « Libération » du 11 septembre [1]. Dernier ouvrage paru : « Critique de la religion. Une imposture intellectuelle, politique et morale », éditions La ville brûle."

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