“On va commencer par interdire tel vêtement, et demain où cela s’arrêtera-t-il ?” (Libre Pensée, 29 août 09)

30 août 2009

« À propos des vêtements religieux dans la vie privée.

À l’occasion de son congrès national réuni en Savoie du 24 au 26 août 2009, la Fédération nationale de la Libre Pensée tient à rappeler ses positions de principe quant à la laïcité institutionnelle, et au respect des libertés démocratiques fondamentales qui garantissent le respect de la vie privée des citoyennes et citoyens de ce pays.

Une campagne médiatique d’importance a débuté à la fin du mois de juin, à partir de l’initiative d’un député du PCF, rejoint par une majorité de députés de droite, pour stigmatiser le port de la burqa et du niqab en dehors de l’École publique, de l’Administration et des autres services publics. Cette démarche a été entendue et amplifiée par le Président de la République dans son discours devant le Congrès à Versailles.

Rappelons que Nicolas Sarkozy ne nous avait pas habitués à se parer des vertus de la défense de la laïcité. Bien au contraire, puisqu’il insiste depuis des années sur la « nécessaire place » des religions dans la société et la vie publique. Une mission d’information parlementaire devrait remettre un rapport sur cette question.

Qu’est-ce que la laïcité ?

La laïcité n’est pas une philosophie ni un art de vivre, c’est un mode d’organisation politique des institutions. Elle vise, par la séparation des Églises et de l’État (loi de 1905), à distinguer institutionnellement le domaine de l’Administration et des services publics du domaine privé de la vie des citoyens.

La laïcité, comme principe politique d’organisation, s’applique aux institutions et non aux individus. C’est cette claire distinction, mise en œuvre par la loi sur la liberté d’association du 1er juillet 1901, et par la Loi du 9 décembre 1905 qui garantit la non-ingérence des conceptions métaphysiques dans le domaine public pour mieux garantir la liberté d’opinion et de comportement dans le domaine privé.

Dans cette acception, il est logiquement républicain et laïque d’interdire tout signe d’appartenance religieux à l’École publique et pour les agents du service public. C’est ce qu’ont fait la loi Goblet de 1886, la Loi de 1905 et les circulaires Jean Zay de 1936 et 1937. En revanche, la loi n’a pas à dicter les modes vestimentaires dans le domaine privé, ou tout autre comportement, tant que ceux-ci ne sont pas une menace pour la vie d’autrui.

On ne combat pas un totalitarisme en le remplaçant par un autre

Il est indéniable que le port imposé de la burqa ou du niqab est un symbole de l’oppression. Mais en quoi le port de la soutane pour les prêtres, de la robe de bure pour les moines, de la robe et de la cornette pour les religieuses, du schtreimel, du spodik ou du caftan pour certains juifs est-il moins oppressif que le port de la burqa pour certaines musulmanes ?

Rappelons que ce sont toujours les dictatures qui ont voulu imposer un mode de vie et des modes vestimentaires. En 1872, le tsar Alexandre II a interdit, en Pologne, alors sous occupation russe, le port des papillotes et des longs manteaux (costume traditionnel) pour les juifs. Le Code civil de Napoléon Ier interdisait le port du pantalon pour les femmes. De 1967 à 1974, la Grèce des colonels a interdit les cheveux longs et la minijupe. L’Histoire regorge de ces tentatives totalitaires de vouloir régenter la vie des gens.

« Lorsque le fanatisme est mis au service d’une cause ignoble, on peut le regretter, on doit le combattre, mais on peut le comprendre – intellectuellement –, car on est dans un système cohérent où les causes et les effets, les objectifs et les moyens, correspondent comme dans un puzzle parfaitement ajusté. Mais lorsque le fanatisme est mis au service d’une cause, la plus noble soit-elle, il dégrade et disqualifie ipso facto cette cause dont il prétend servir la promotion. Pourquoi ? Parce que l’être humain est un être complexe, capable de massacrer ses contemporains au nom de l’amour, de les enchaîner au nom de la liberté, de les rendre fous au nom de la raison et, en somme, de faire régner la terreur au nom de la vertu » (Alain Graesel, ancien Grand Maître de la Grande Loge de France).

La burqa, la soutane, le caftan, sont des tenues imposées pour uniformiser la vie de ceux qui les portent, et « tout uniforme est une livrée » (Ferdinand Buisson). Pourquoi, dès lors, distinguer entre les oppressions vestimentaires ? Pourquoi interdire l’une et autoriser les autres ?

Défendre les libertés démocratiques

« La liberté, c’est toujours défendre la liberté de celui qui pense autrement » (Rosa Luxembourg). On va commencer par interdire tel vêtement, et demain où cela s’arrêtera-t-il ? Il fut une époque où il était interdit de s’embrasser dans la rue. Va-t-on nous faire tous marcher au pas de l’oie ?

Nous sommes dans une société qui ferait apparaître le régime de Big Brother dans 1984 d’Orwell pour un jardin d’enfants. Nous sommes fichés, surveillés, contrôlés, inspectés, fouillés en permanence. Par les systèmes informatiques, les possesseurs de la puissance électronique et du pouvoir politique peuvent tout savoir sur nous. Il y avait, sans doute, moins de risque, pour la confidentialité de ses opinions, à écouter Radio-Londres en 1942 qu’à surfer aujourd’hui sur Internet.

Et l’on va nous dire ce qui est autorisé ou pas comme vêtements ? Insidieusement, par cette campagne médiatique, certains forgent un ordre moral qui n’ose pas dire son nom. On entre de plain-pied dans le politiquement correct et la pensée unique. On cherche à formater la société.

Après le délit de sale gueule, va-t-on avoir le délit de sale vêtement ?

C’est une conception néo-totalitaire. Rappelons qu’en 1905 ce type de débat a déjà eu lieu : fallait-il une Loi de Séparation des Églises et de l’État, ou une loi de destruction des religions ? Le débat politique était clairement posé : État laïque ou État athée ? La Libre Pensée s’est retrouvée très majoritairement, avec Jean Jaurès, dans la proposition d’Aristide Briand pour une séparation : « Une loi n’a jamais pu, heureusement, réussir à réduire, ni les individus, ni les groupements d’individus, encore moins leur pensée, à l’impuissance. Une telle loi qui se proposerait un tel but ne pourrait être qu’une loi de persécution et de tyrannie. »

Fidèle à cette tradition démocratique, la Fédération nationale de la Libre Pensée examinera les conclusions de la mission parlementaire d’information et, à partir des principes ci-dessus énoncés, formulera alors ses conclusions publiquement.

Adopté à l’unanimité des 200 délégués des 81 groupements fédérés représentés au Congrès national. »



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