Contribution

Observatoire de la laïcité : un sondage pour ne rien dire ! (J.-P. Malosto)

par Jean-Pierre Malosto, membre du conseil d’administration du CLR. 6 février 2019

L’Observatoire de la laïcité a publié le 1er février 2019 un sondage destiné à établir un « Etat des lieux de la laïcité en France ». Loin d’être éclairants, les résultats de cette étude confiée à ViaVoice par l’Observatoire contribuent à entretenir un sentiment de confusion chez le lecteur et chez les commentateurs. Ainsi, le sens général des reprises dans la presse indique que les français sont très attachés au principe de laïcité mais qu’ils considèrent parallèlement que celui-ci est mal appliqué au quotidien. Que signifient ces affirmations ? Comment parvient-on à un tel constat ? Que nous apprend-il du rapport que les français entretiennent avec la laïcité ? Et, surtout, quelles étaient les intentions des commanditaires du sondage ? Il faut bien convenir que cette publication appelle davantage de questions qu’elle n’apporte d’informations.

Sur le plan technique, cette étude semble avoir été réalisée selon « les règles de l’art ». La méthode adoptée, à savoir l’interrogation via Internet correspond aujourd’hui à une pratique habituelle et largement reconnue. Pour l’essentiel, les interrogations qui émergent à la lecture de cette étude concernent l’ambiguïté et la complexité de la formulation de la plupart des questions.

Confronté à un sujet complexe (la laïcité en est assurément un), la volonté du professionnel des sondages est habituellement de morceler le questionnement en interrogations simples et progressives afin que chacun puisse répondre sans difficultés de compréhension. En effet, le principe d’un sondage d’opinion, au-delà de la qualité de l’échantillon, repose sur un postulat essentiel : chaque individu interrogé doit pouvoir répondre dans des conditions identiques à celles auxquelles sont soumises les autres membres de l’échantillon. Le niveau de compréhension des questions est naturellement un paramètre essentiel de ces conditions d’homogénéité. Si la complexité et/ou l’ambiguïté d’une formulation ouvrent un trop large champ à l’interprétation de chacun des répondants, il va de soi que la pertinence de l’analyse des résultats s’en trouvera largement altérée.

Lors de la rédaction du questionnaire, l’Observatoire de la laïcité semble avoir pris le contrepied de cette obligation méthodologique en multipliant les formulations compliquées, ambiguës, voire absconses. Pour beaucoup de questions, les libellés sont trop spécifiques, « jargonneux », délicats à interpréter, et donc, finalement totalement inadaptés à un sondage « grand public ».

Quelques exemples très significatifs de ces choix déroutants peuvent être cités.

« A titre personnel, diriez-vous que vous êtes attaché (…) au principe de laïcité telle que vous la pensez définie par le droit actuellement ? », « L’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public a pour fondement la laïcité », « Une municipalité a le droit d’invoquer la laïcité pour refuser que soient servis des repas avec et sans viande à la cantine scolaire », « Trop souvent, on ne parle de laïcité qu’à travers la polémique ». Ne peut-on imaginer des formulations plus simples, compréhensibles par tous ? Et que penser, par ailleurs de celles qui auraient pu inspirer Raymond Devos : « La laïcité telle que définie par le droit, en théorie, ne protège pas tout le monde, sans exception » !

Le point générant sans doute le maximum d’ambiguïtés réside dans l’opposition entre « principe de la laïcité en théorie » et « principe de la laïcité en pratique ». Comment s’assurer que les répondants parlent bien de la même chose ? Que peut signifier pour tout à chacun un principe « en pratique » ?

Il faut noter, par ailleurs, que la notion « liberté de conscience », essentielle lorsque l’on parle de la laïcité, et présente dès l’article 1 de la Loi de 1905, est totalement absente du questionnaire.

Dans le passé, d’autres sondages concernant la laïcité ont été publiés, notamment par les sociétés CSA, IFOP et OpinionWay. Les questions posées étaient claires, permettaient d’analyser sans difficulté l’opinion des personnes interrogées. Ces éléments d’informations contribuaient naturellement à nourrir les réflexions sur un principe essentiel qui régit la vie de tous au sein de la République.

Mais, quel est l’objectif du sondage de l’Observatoire de la laïcité ? Pourquoi, en dépit de toutes les règles techniques et les pratiques professionnelles les plus répandues a-t-on choisi « de faire compliqué lorsque l’on pouvait faire simple » ? La portée des résultats semble bien modeste. D’ailleurs, les commentaires des rédacteurs du rapport paraissent timides et embrouillés.

Enfin, il convient de noter que lorsqu’il s’agit de mesurer la possible évolution de la Loi de 1905, l’analyse devient tout à fait timorée : si les auteurs signalent bien que 46 % considèrent que « la loi est adaptée et ne doit pas être modifiée », lorsqu’ils évoquent les 22 % pour qui « … la loi n’est pas assez stricte », ils oublient de citer l’intégralité de l’item proposé : « … la loi n’est pas assez stricte : il faut refuser tout dialogue entre les institutions publiques et les différentes religions ». Cela signifie bien pourtant que plus des deux tiers des personnes interrogées souhaitent maintenir ou renforcer le principe de laïcité inscrit dans la loi.

Alors, pourquoi un sondage qui embrouille tout et cache sans doute l’essentiel ?

Cachez cette opinion que je ne veux voir !

Jean-Pierre Malosto
Membre du CA du CLR


Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Observatoire de la laïcité (note du CLR).


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