Françoise Laborde, sénatrice PRG de Haute-Garonne et membre de l’Observatoire de la laïcité. 22 janvier 2016
"Sénatrice PRG de Haute-Garonne et membre de l’Observatoire de la laïcité, Françoise Laborde regrette le fonctionnement, trop peu collégial à ses yeux, de cette institution que préside Jean-Louis Bianco.
La gauche s’écharpe sur la laïcité. Le Premier ministre s’en est vivement pris, en début de semaine, au président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco. Manuel Valls lui reproche d’avoir cosigné une tribune, au lendemain des attentats de novembre, aux côtés d’organisations dont certaines sont réputées proches des Frères musulmans et qui participent selon lui d’un climat "nauséabond".
Manuel Valls n’a pas non plus goûté les critiques de l’un des proches de Jean-Louis Bianco, le rapporteur général de l’Observatoire, Nicolas Cadène, envers la philosophe Elisabeth Badinter, qui jugeait récemment "qu’il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe".
Critiques, eux aussi, de la conception de la laïcité défendue par Jean-Louis Bianco et partisans d’une ligne plus intransigeante, le député PS Jean Glavany, le président du Comité laïcité républicaine Patrick Kessel et Françoise Laborde ont suspendu leur participation à l’Observatoire [1]. Cette dernière, qui s’était notamment battue pour une loi interdisant le port du voile aux employées de crèches privées, revient sur ce désaccord.
Que reprochez-vous à l’action menée par Jean-Louis Bianco à la tête de l’Observatoire de la laïcité ?
Je tiens à préciser que je ne remets pas en cause tout le travail de l’Observatoire de la laïcité, que j’aurais quitté depuis longtemps si tel était le cas. Mais des problèmes de fonctionnement se posent aujourd’hui. Beaucoup, parmi les 23 membres qui le composent, sont hauts-fonctionnaires ou représentants de différents ministères. Je doute donc qu’ils soient réellement libres de leur vote quand il s’agit de rendre des avis. Progressivement, Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène [le rapporteur général de l’Observatoire, NDLR] ont pris leurs aises au point de sortir de leur rôle. Des rencontres et des auditions ont par exemple été menées au nom de l’Observatoire de la laïcité sans que tout ses membres en soient informés.
Signer des tribunes ne fait par ailleurs pas partie du rôle de l’Observatoire de la laïcité, qui n’est pas censé prendre parti. Sous couvert de tenter d’apaiser au lendemain des attentats, ce genre de démarche ne fait que jeter de l’huile sur le feu. Aujourd’hui il y a Monsieur Bianco et Monsieur Cadène d’un côté et les autres de l’autre. L’incident récent autour des propos d’Elisabeth Badinter n’a été qu’un déclencheur. Il y avait un ras-le-bol, il fallait que ça pète.
Appelez-vous à la démission de Jean-Louis Bianco, comme le fait une pétition que soutient le Parti radical de gauche ?
Aujourd’hui oui, même si je n’ai pas signé cette pétition. Quand Jean-Louis Bianco explique à Manuel Valls que "l’Observatoire de la laïcité n’est pas placé sous sa responsabilité" dans un communiqué à en-tête du Premier ministre, c’est succulent. Je respecte son parcours mais je ne vois pas comment il peut rester désormais.
Comment définissez-vous cette "laïcité intransigeante" que vous défendez ?
Ma conception de la laïcité est celle de la loi de 1905. La législation garantit la liberté d’expression et le fait de pouvoir se moquer des religions, tant qu’il ne s’agit pas de cibler des personnes. Mais on assiste à des demandes individuelles de plus en plus nombreuses. La ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem a par exemple considéré, en octobre 2014, que les mamans voilées devaient pouvoir accompagner les sorties scolaires. Mais n’est-ce pas une forme de prosélytisme passif ?
Attention tout de même à ne pas se faire plus royaliste que le roi. S’agissant de l’enseignement supérieur, la priorité pour moi n’est pas la question du port du voile [L’Observatoire de la laïcité s’est déclaré contre son interdiction, NDLR], mais que les étudiants ne remettent pas en cause le contenu des cours ou les dates d’examen. Je suis allée visiter l’Espe (Ecole supérieure du professorat et de l’éducation) Claude Bernard (Lyon I) où l’on a découvert l’existence d’une salle de prière clandestine, ce qui est à mon sens un problème plus important. Quand Jean-Louis Bianco explique qu’il n’y a pas de sujet avec la laïcité dans l’enseignement supérieur, je suis désolée mais ce n’est pas le cas [2]. 130 questionnaires ont été envoyés aux présidents d’universités pour parvenir à cette conclusion. Quant au nombre et au contenu des retours, ils sont restés secrets !
Pourquoi la gauche n’est-elle jamais parvenue à trancher ce débat sur la laïcité ?
Pour des raisons électorales ! A la veille de chaque élection, on fait les comptes en se demandant à qui les musulmans vont donner leurs voix tout en s’interdisant le débat d’idées. L’électoralisme nous a pété à la figure. On a peur d’employer des mots simples comme "laïcité", "République" ou de parler du drapeau français, au risque de laisser le FN se les approprier. La faute est collective, partagée par tous les élus qui ont laissé faire."
Comité Laïcité République
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