Revue de presse

“Nouvelle donne pour la discrimination positive” (Le Monde, 9 nov. 08)

8 novembre 2008

"Avec Barack Obama à la Maison Blanche, est-il encore besoin d’affirmative action ? Le débat sur la discrimination positive, qui permet aux universités de favoriser les étudiants issus de minorités (Africains-Américains, Latinos...), a été relancé par la campagne électorale. Dans deux Etats (Colorado, Nebraska), la question a été soumise au référendum populaire : les électeurs sont-ils d’accord d’interdire le traitement préférentiel dans l’entrée à l’université ou les emplois publics en fonction de la race ou du sexe ?

"Maintenant que nous avons un Noir dans l’endroit le plus symbolique de la nation, de nombreux Américains vont probablement trouver que les Noirs n’ont plus à se plaindre, dit James Rucker, le fondateur de Colour of Change, un groupe progressiste qui s’est engagé pour Barack Obama. La réalité, c’est que nous avons toujours des cas de discrimination dans le logement, une surreprésentation des Africains-Américains dans les prisons et des inégalités dans l’éducation."

Barack Obama a refusé de prendre directement position sur ces initiatives populaires (John McCain a réitéré, lui, qu’il était opposé aux quotas). En général, le candidat démocrate est peu intervenu sur les questions touchant aux injustices raciales ou sur la surreprésentation des Noirs dans les prisons (un Noir âgé de 20 à 34 ans sur 9 est en détention) pour ne pas apparaître comme un candidat marqué par le souci particulier de la communauté africaine-américaine. Aucune question n’a été posée dans les derniers débats télévisés sur les sujets touchant à la discrimination, la justice ou la peine de mort.

Alors qu’il était étudiant à Harvard, Barack Obama avait vigoureusement défendu l’affirmative action. Dans la revue des étudiants de droit, la Harvard Law Review, il affirmait avoir lui-même bénéficié du programme lancé en 1961 par John Kennedy, l’auteur du terme affirmative action (dans un ordre exécutif recommandant aux employeurs publics de mener une action positive pour assurer que les postulants soient recrutés sans distinction de race ou d’origine).

Pendant la campagne électorale, M. Obama a mis l’accent davantage sur la classe sociale que sur la race, comme facteur de discrimination, ce qui a déstabilisé certains de ses partisans. En avril, il a estimé que ses filles Malia et Sasha, qui sont "pas mal privilégiées par la vie", ne devraient pas bénéficier de la discrimination positive lorsqu’elles essaieront d’entrer à l’université, surtout si elles sont en compétition avec des jeunes étudiants issus de milieux défavorisés blancs.

Cette déclaration a été saluée par la républicaine Linda Chavez, pour qui le fait de l’admettre était "important". Elle a inquiété certains militants noirs, qui se sont demandé si M. Obama remettait en question l’affirmative action au sens habituel. Le principal conseiller de M. Obama sur les affaires "noires" est Charles Ogletree, professeur à la faculté de droit d’Harvard. Il milite pour les réparations dues au titre de l’esclavage - une initiative à laquelle M. Obama n’est pas du tout favorable, comme il l’a expliqué à la convention des journalistes africains-américains qui a eu lieu cet été à Chicago. Pour M. Ogletree, les filles de M. Obama, toutes privilégiées qu’elles puissent être, "continueront à être jugées en fonction de leur couleur toute leur vie" et donc l’affirmative action reste justifiée.

L’affaiblissement de ce programme, qui a toujours été décrié par les conservateurs, a commencé il y a déjà une dizaine d’années. Dans deux Etats, Californie et Michigan, la discrimination positive a même été abandonnée. En Californie, le changement a eu lieu à la suite d’un référendum, dont le promoteur, Ward Connerly, un activiste conservateur noir, finance la réplique, cette année, dans les Etats voisins, arguant du fait que Barack Obama "a aidé sa cause" et "fait avancer le débat". Le résultat a été mitigé : le Nebraska a approuvé le 4 novembre la fin de l’affirmative action. Mais le Colorado l’a préservée, dans une première rebuffade - à ce jour - contre le promoteur californien. Peu importe : M. Connerly reste persuadé que la société américaine a "surmonté le fléau de la race".

Pour le professeur Mark Sawyer, de l’université de Los Angeles, le candidat démocrate est "un partisan de l’affirmative action, mais il voudrait simplement y introduire des changements. Inclure le niveau de revenu, par exemple". Selon lui, la discrimination positive a apporté beaucoup aux classes moyennes, qui ont réussi "malgré la race". Mais elle est en fait inadaptée pour les plus pauvres, dont le problème "n’est pas d’aller à l’université mais de réussir à terminer le lycée".

Selon la dernière édition de l’enquête sur les jeunes et la politique publiée tous les deux ans par l’Institut de politique d’Harvard, 59 % des jeunes (une catégorie d’âge qui vote à une très large majorité pour Barack Obama) sont opposés à la discrimination positive. Seuls 14 % sont favorables à ce que "les minorités reçoivent un traitement de faveur dans le recrutement et l’éducation". En fait, les universités qui réfléchissent à la question notent que, si elles abandonnent les critères ethniques, rien ne les empêche de considérer le niveau social et donc de corriger les inégalités.

Ces dernières années, Barack Obama a exprimé une certaine compréhension pour les Blancs qui voudraient voir s’estomper les préférences raciales. "La culpabilité blanche s’est largement éteinte en Amérique", a-t-il noté dans son livre de 2006, en insistant sur le bénéfice de politiques universelles."

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