19 août 2020
[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, il défend dans le climat actuel une interprétation discutée de la loi de 1905. Portrait.
Par Louis Chahuneau
Il y a les chaînes d’information en continu et il y a le reste. Plutôt que de s’abrutir devant d’interminables débats télévisés sur le voile, certains ont préféré se rencontrer en vrai. Ce jeudi soir, une quarantaine de curieux assistent à une table ronde sur le thème de la laïcité et de l’identité, organisée par la mairie de Paris, au Badaboum (11e arrondissement). Parmi les invités, Nicolas Cadène. Le rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité semble se dédoubler depuis quelques jours. Il a arpenté les plateaux télé, radio, jonglant avec les interviews téléphoniques et les tables rondes. Si plusieurs ont appelé au boycott de médias, lui reste divisé : « J’ai refusé CNews, mais je ne peux pas boycotter tous les médias. Je préfère y être pour cadrer le débat. » Malgré son emploi du temps de ministre, le grand brun de 38 ans parvient à garder le sourire. « Il a le cuir épais », assure Jean-Louis Bianco, son mentor et directeur à l’Observatoire.
En 1905, le député Aristide Briand avait prévenu les Français : « Il ne faut pas fournir aux adversaires de la République des armes que demain ils pourront retourner contre elle. » Reste que sa loi de 1905 a la vie dure ces dernières semaines : une accompagnatrice voilée sommée de quitter une séance du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, un formulaire destiné à détecter les « signaux faibles de radicalisation » distribué à l’université de Cergy-Pontoise, une proposition de loi déposée au Sénat pour interdire les signes religieux chez les accompagnants scolaires... « C’est vrai que ça pue », admet Nicolas Cadène, un verre de communard (variante du kir) à la main. « Un cap a été franchi. Outre que la parole est très libérée, ce qui m’inquiète, ce sont les propositions de loi qui veulent imposer une police vestimentaire. Certains s’affirment défenseurs de la laïcité, mais défendent une tout autre chose. » Il en veut d’ailleurs aux médias, et aux politiques jugés « irresponsables ». Dernier coup de sang en date, le sondage de l’Ifop qui précise que 62 % des Français souhaitent interdire les signes religieux ostensibles, comme le voile, aux parents d’élèves qui accompagnent les sorties scolaires : « Ce n’est pas rigoureux, on ne peut pas faire ça en pleine crise. Depuis la nuit des temps, on sait qu’il faut distinguer la population intéressée de la population globale. Quel est l’intérêt d’avoir les réponses de quelqu’un qui ne sait pas ce que c’est qu’une sortie scolaire ? »
La laïcité, une histoire de famille
Le débat sur la laïcité n’est pas nouveau. Il était même bien plus virulent au début du XXe siècle, notamment après l’affaire Dreyfus qui avait cristallisé la haine des catholiques dits concordataires, qui souhaitaient à tout prix défendre les privilèges de l’Église catholique : « Les gens oublient qu’il y avait un climat de haine terrible en 1905. Les propos antisémites, anti-protestants, anti-francs-maçons étaient légion à cette époque », rappelle Nicolas Cadène avec son accent nîmois.
Le grand gaillard en sait quelque chose : dans sa famille protestante, la laïcité est érigée en valeur familiale. Le grand-oncle, Raoul Allier, a été l’un des grands défenseurs de la loi de 1905 auprès de son rapporteur, Aristide Briand, et d’autres parlementaires français. Fils d’une orthophoniste et d’un juriste, Nicolas Cadène s’est beaucoup inspiré de ses grands-parents, des pasteurs engagés dans le social. À Nîmes, sa ville d’origine, le jeune homme enchaîne maraudes au Samu social et secourisme à la Croix-Rouge. Après des études de droit à Montpellier et à Lille, il débarque dans la capitale à 22 ans pour s’engager au Parti socialiste. C’est là-bas qu’il rencontrera son futur mentor, le député Jean-Louis Bianco : « J’étais à la recherche d’un assistant parlementaire et on m’a dit que c’était le meilleur », se rappelle le baron du PS. Après un passage dans l’équipe de campagne de Ségolène Royal en 2007 puis du côté du ministère de l’Environnement sous François Hollande, il prend ses distances avec les partis politiques et entre à l’Observatoire de la laïcité.
À défaut d’être rapporteur de l’Observatoire, Nicolas Cadène aurait pu être professeur. Après l’écriture de La Laïcité pour les nuls (éditions First) en 2016, le rapporteur a été élu à l’académie de Nîmes (l’une des plus anciennes de France) en juin dernier. Sur les réseaux sociaux comme sur les chaînes de télévision, il rappelle inlassablement et cliniquement la définition de la laïcité face à des interlocuteurs souvent peu pointilleux : « Les élus pensent qu’ils connaissent la loi, mais ce n’est pas toujours le cas. Cela aboutit à des volontés de légiférer alors qu’il n’y en a pas besoin », soupire-t-il. Ce n’est pas pour rien que le gouvernement d’Emmanuel Macron a abandonné son projet de réforme de la loi de 1905 : « En théorie, c’est un formidable outil de cohésion nationale. Le problème, c’est qu’il n’est pas appliqué correctement. Par exemple, il faudrait assurer la mixité sociale. C’est très dur de faire vivre la laïcité dans des quartiers entièrement homogènes. On ne peut qu’avoir des replis communautaires et des peurs de part et d’autre. »
Divisions
Créée en 2007 par un décret de Jacques Chirac, l’institution n’a été mise en service qu’en 2013, sous François Hollande. Ses membres sont chargés de promouvoir la laïcité, de former le personnel des administrations publiques (qui sont soumises à la neutralité religieuse, contrairement au reste de la société), ainsi que de sensibiliser les plus jeunes et de rendre un rapport annuel sur l’état de la laïcité en France. Mais le rôle de l’institution a parfois divisé la gauche, entre les tenants d’une laïcité purement juridique et ceux qui plaident pour une laïcité plus « offensive ». Dans Le Grand Abandon des élites, paru en 2012, le journaliste Yves Mamou avait d’ailleurs qualifié l’Observatoire d’« abattoir de la laïcité ». Les partisans du Printemps républicain s’en prennent aussi à l’institution et à ses membres. « Nicolas Cadène a été le fer de lance d’une ligne politique à l’Observatoire », estime Patrick Kessel, ancien membre. Jean Glavany, ancien ministre et ancien membre de l’Observatoire, ainsi que Gilles Clavreul délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme de 2015 à 2017, et cofondateur du Printemps républicain ont refusé de s’exprimer sur le personnage.
Avec Françoise Laborde et Jean Glavany, Patrick Kessel a formé la ligne d’opposition à Bianco et Cadène : « Nous disions qu’il y a de plus en plus de problèmes de laïcité, notamment liés à l’islamisme, et qu’il faut s’en préoccuper », affirme ce dernier. En 2016, après l’attentat de Nice, c’est une tribune contre le terrorisme signée avec le rappeur Médine et le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) qui provoque de nouveau des remous. Mais l’hostilité atteint son paroxysme en 2016, lorsque Cadène reprend la philosophe Élisabeth Badinter sur Twitter à propos de sa définition de la laïcité.
« J’ai peut-être trop répondu sur les réseaux sociaux, c’est la seule chose que je regrette », estime Nicolas Cadène avec du recul. D’ailleurs, l’Observatoire ne semble plus en proie aux divisions : « Sur la trentaine d’avis et guides rendus au Premier ministre, seuls deux n’ont pas été votés à l’unanimité », rappelle celui que ces vieilles polémiques semblent fatiguer. Le Nîmois lorgne maintenant la mairie de Nîmes, qu’il voudrait conquérir lors des municipales. L’occasion de passer de la parole aux actes et, peut-être, de se rapprocher de ses vignes."
Voir aussi les Communiqués de J. Glavany, P. Kessel et F. Laborde (Observatoire de la laïcité), dans la Revue de presse la rubrique Observatoire de la laïcité (note du CLR)
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