Revue de presse

"Négligé par les écrivains, ressuscité par les informaticiens : le point-virgule, un silence qu’on ne voit plus" (Marianne, 22 août 24)

(Marianne, 22 août 24) 25 août 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Dans ce cinquième numéro, « Marianne » s’intéresse à la virgule. Ce signe de ponctuation est si discret qu’on oublie de l’insérer dans nos phrases. Agonisant, il nous adresse encore de redoutables clins d’œil sur nos écrans.

Longtemps, ce fut une affaire d’imprimeurs ; eux avaient la haute main sur la typographie. La ponctuation a longtemps été une contingence technique, négligée par les écrivains. Une virgule, un point-virgule ou un point ? En surplomb, Voltaire demandait à son imprimeur de se débrouiller avec « tout ce peuple-là ». Dans cette ponctuation, certains signes sont tonitruants : ils s’exclament, questionnent ou ouvrent un dialogue. Rien de cela avec notre discret point-virgule, subtil et délicat. D’ailleurs, dans la Délicatesse, David Foenkinos n’écrit pas autre chose : « Après leur dernier échange, il était parti lentement. Sans faire de bruit. Aussi discret qu’un point-virgule dans un roman de huit cents pages. » On en oublie jusqu’à son existence ; il disparaît sans tapage.

Plus pesant qu’une virgule mais moins franc qu’un point final, ce point-virgule découpe une phrase en propositions liées l’une à l’autre. Erik Orsenna, ancienne plume politique, disait que le point-virgule marquait l’expression de François Mitterrand, à l’opposé de Nicolas Sarkozy, qui y mettait des points. En effet, les discours du président socialiste étaient parsemés de points-virgules. Mieux : il en mettait, pour ainsi dire, à l’oral. Face à Jean-Pierre Elkabbach qui l’interrogeait en 1994 sur son passé vichyssois, ses propos sont ainsi retranscrits : « J’ai assisté un jour, je crois, au procès Pétain. Je pensais, oui, que Vichy avait nui aux intérêts de la France ; c’est évident. » C’est une histoire de silence. La langue de chacun est une musique dont la ponctuation retranscrit le rythme.

Cette ponctuation, développée avec l’imprimerie, aidait à la lecture orale, qui s’est longtemps pratiquée, même en solitaire. Tel le sexe des anges, les grammairiens débattaient de la longueur des silences. « À la lecture, le point-virgule marquait un silence un peu plus long que la virgule, explique le linguiste Gilles Siouffi. Si on lisait à haute voix, il indiquait une reprise de souffle, contrairement à la virgule, même si ces normes n’ont jamais été bien respectées. »

Résurrection informatique
Puis, au fil du temps eut lieu une révolution. Personne n’en parle car elle se fit à bas bruit : et voilà que l’on se mit à lire silencieusement. Pourquoi garder ce point-virgule indiquant la longueur du silence ? Mais loin de le jeter dans les oubliettes de la typographie, les écrivains l’ont sauvé. Avec la pratique du feuilletonnage, les littérateurs payés à la ligne allongeaient toujours plus leurs phrases. Ils ont trouvé dans ce signe leur meilleur allié pour en scander le rythme. Flaubert et Proust marquèrent son âge d’or.

Un temps révolu. « La tendance est de remplacer les points-virgules par des points et des virgules, confirme Gilles Siouffi. Mais tout cela est très subjectif. » Le poète Alain Borer le regrette. « C’est une perte de nuance. Quand Rimbaud écrit dans une lettre “À cinq heures, je descendais à l’achat de quelque pain ; c’est l’heure”, le point-virgule remplace “parce que”. C’est une élégance, une nuance qui se perd. »

Et pourtant, la touche «  ; » n’a pas disparu des claviers. Ne serait-ce que pour envoyer un ;) en signe de clin d’œil. Sans parler de la communication informatique qui abonde de «  ; » dans le codage ou pour séparer les adresses d’un mailing. Quelle mouche a piqué les informaticiens de ressusciter ce point-virgule moribond ? La nostalgie ? Non ; les autres signes étaient déjà pris.


Voir aussi dans la Revue de presse tout le dossier Marianne "Disparu du français" (été 24) dans Langue française dans Être Français (note de la rédaction CLR).


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