Natacha Polony, journaliste, essayiste, auteur de "Ce Pays qu’on abat" (Plon). 4 mai 2015
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Natacha Polony revient sur l’ « affaire de la jupe ». Pour notre chroniqueuse l’ampleur de la polémique montre que nous sommes en train de tomber dans le piège des communautaristes qui veulent faire apparaître la laïcité comme une forme d’hystérie tatillonne.
Sur la photo, c’est une très jolie jeune fille, veste rose cintrée, petit sac élégant, pose étudiée. Elle est ravie d’être là, fière de se montrer. Sa jupe et le foulard qui lui couvrent les cheveux, tous deux noirs, donnent à la silhouette l’élégance d’un drapé vaporeux. Sarah est en photo dans Le Monde. Pas dans un coin de page, non. En plein milieu de la page huit, une photo énorme. Et puis, elle a droit au titre de une : « Les jupes longues des musulmanes, nouvelle fracture à l’école » La veille, c’était celle du journal local, L’Ardennais : « Exclue du collège pour une jupe trop longue »
Passons sur le fait qu’un journal « de référence » consacre sa une à la rébellion narcissique d’une adolescente en usant de mots définitifs. « Fracture », ça n’est tout de même pas anodin. Mais on hésite, en lisant ces lignes, entre consternation et inquiétude. Quand on en vient à mesurer la longueur des bouts de tissus qui couvrent les femmes, c’est que les fous ont gagné. C’est que des gamines en crise d’adolescence nous ont amenés sur le terrain des intégristes.
Personne n’est dupe, bien sûr, de l’intention de Sarah et de ses copines, et des nombreuses autres qui, mécontentes de devoir respecter la loi interdisant les signes religieux à l’école, usent de leur jupe noire comme d’un étendard. Oui, elles la transforment en un « signe religieux ostentatoire », argument qui explique le choix de la principale. Oui, cela démontre leur volonté délibérée de défier les règles établies, de provoquer. Bien loin, pourrait-on faire remarquer à la jeune Sarah, du principe d’humilité qui, dans le Coran, est mis en avant pour expliquer la nécessité pour les « croyantes » de « couvrir d’un voile leurs attraits » (et non leurs cheveux ; mais les religions monothéistes ont un problème avec les cheveux des femmes).
Mais n’importe qui perçoit le piège dans lequel nous sommes en train de tomber. Celui de faire apparaître la laïcité comme une forme d’hystérie tatillonne qui va mesurer les jupes des filles et évaluer leur couleur, puisque aussi bien, le jupon bohème vanté dans les magazines de mode serait accepté. Le piège du ridicule. Celui, aussi, de voir nos propres valeurs retournées contre nous. Car c’est bien leur liberté individuelle que vont brandir ces jeunes filles pour justifier leur combat.
Ce qui, on en conviendra, ne manque pas de sel quand il s’agit de défendre des revendications communautaires et une appartenance religieuse dont le principe même - comme pour toute religion monothéiste - est de ne concevoir l’individu que comme appartenant à la communauté des croyants. Nous venons donc de faire un cadeau magnifique à tous les professionnels du brouillage de concepts, à tous les artistes de la victimisation, à tous les limiers chargés de traquer l’islamophobie.
Et l’on voit bien l’aporie dans laquelle nous nous trouvons. Entrer dans l’engrenage de la restriction des libertés, c’est détruire notre propre pacte social. Mais réduire cet incident à une simple provocation d’adolescentes, c’est nier la puissance d’un mouvement de fond, celui d’une affirmation d’un certain islam, identitaire et communautaire, le même, justement, qui conduit des jeunes garçons, dans certains quartiers, à harceler les filles dont ils trouvent les jupes trop courtes.
On remerciera pour cela tous ceux qui ont hurlé à l’atteinte aux libertés individuelles et à la pudibonderie quand il s’est agi d’interdire dans les collèges diverses tenues provocantes, du short crasseux au string dépassant du jean, tous ceux qui ont considéré que le film La Journée de la jupe, qui traitait sur un ton burlesque et tragique de cette interdiction de porter une jupe courte dans des quartiers sensibles, de film « réac », « raciste » ou autres, tous ceux, enfin, qui depuis des années s’échinent au nom du progressisme et de la liberté des adolescents à « exprimer leur personnalité », à refuser toute discussion sur l’introduction d’un uniforme dans les écoles, seul moyen pourtant de réduire à la fois les tentations consuméristes et les revendications communautaires.
Mais un vêtement ne changera pas grand-chose, malheureusement, à ce qui se passe dans les têtes. Et c’est avant tout dans le discours, notamment celui de l’école, à travers la transmission des grands textes littéraires et philosophiques comme à travers un roman national réinventé, que l’on trouvera l’antidote à ce besoin d’affirmation identitaire de jeunes qui ne font que chercher - pour la grande joie des nouveaux soldats du totalitarisme - une réponse au grand vide que nous leur avons laissé."
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