Mission parlementaire sur le voile intégral : intervention de Patrick Kessel (16 sept. 09)

Président d’honneur du Comité Laïcité République 17 septembre 2009

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Parlementaires,

Je tiens d’abord à féliciter les députés que vous êtes pour votre initiative qui vise à prendre à bras le corps un problème de fond de la société française. La question de l’interdiction éventuelle du port de la burka dans la rue pose en effet un problème qui dépasse largement le symbole lui-même et résonne au cœur de chaque citoyen car chacun sent bien qu’il touche aux fondements même de l’éthique de la République. Il y a la question de la burka en soi mais il y a aussi tout ce qui se révèle autour dans le dit et le non-dit, la montée en puissance des communautarismes, la contestation des valeurs de l’universalisme, le recul de la laïcité.

Si nous en sommes là, c’est que depuis de nombreuses années, les forces politiques ont quasiment abandonné la défense et la promotion de la laïcité. Quelle que soit la décision qu’adoptera la représentation parlementaire, elle devra s’accompagner impérativement des mesures nécessaires au respect des lois laïques et en particulier de la loi de 1905, ciment du vivre ensemble dans la liberté de chacun et l’égalité des droits entre tous.

La question de l’éventuelle interdiction du port de la burka dans la rue n’est pas de même nature que celle de l’interdiction des signes religieux à l’école, en particulier le voile qui nous avait conduit lors de notre audition devant la commission Stasi à plaider en faveur de la loi. Nous défendions l’interdiction au nom de la laïcité parce qu’il s’agissait du port d’un signe religieux dans un lieu public. La situation est différente dès lors qu’il s’agit de la rue. S’il faut interdire le port d’un vêtement dans la rue au prétexte qu’il serait religieux, alors il faudrait interdire également le port de la soutane, de la bure, des cols-blancs, de la kippa et des cornettes… Ces temps là sont heureusement révolus.

Ce n’est donc pas au nom de la laïcité qu’il faut interdire la burka, même si elle interpelle l’éthique laïque, mais au nom de ce quelle est : un bâillon pour les femmes, un étendard pour les communautaristes intégristes. La burka est d’abord et avant tout une injure à la dignité des femmes, une agression contre le principe d’égalité garanti par la République entre tous les citoyens, quels que soient leurs origines, leur couleur, leur sexe, hommes et femmes, une radicale agression contre les Lumières.

Sur ce point, les représentantes d’associations de défense des droits des femmes ont dit l’essentiel devant cette commission et nous nous retrouvons pleinement dans les propos de Madame Élisabeth Badinter. C’est à ce titre-là que la burka doit d’abord être condamnée et interdite. Au nom des jeunes femmes qui veulent vivre et concilier à leur façon tradition et modernité. Au nom plus encore des femmes qui par millions dans le monde refusent le dictat de la soumission, de l’enfermement, de l’humiliation.

Bâillon des femmes, la burka est aussi l’étendard du combat communautariste, prônant la mise en place de droits différents selon les origines de chacun. C’est le différentialisme. Régis Debray avait écrit voilà plus de vingt ans que « le droit à la différence aboutirait à la différence des droits ». Nous y sommes. Les reculs sur la laïcité, l’acceptation petit à petit de discriminations dites « positives », la reconnaissance de dérogations puis de droits différenciés a engendré une situation dramatique au quotidien dont les médias se font peu l’écho mais qui a été au cœur de l’excellent rapport dit « Obin » publié en 2007 par plusieurs inspecteurs généraux de l’Éducation nationale. La pression du communautarisme le plus radical s’exprime à l’école : dérogations pour les jeunes filles aux cours de biologie et d’éducation physique, pressions sur les contenus des cours de littérature et d’histoire, menaces et violences sur les enseignants, tables séparées selon la communauté d’appartenance des enfants, antisémitisme, racisme avec la mise en place dans certaines piscines publiques d’horaires discriminatoires, dans certaines bibliothèques également, refus de certaines femmes d’être soignées par des hommes médecin dans certains hôpitaux publics, récusation d’un juge motivée par sa présumée appartenance confessionnelle, violence quotidienne dans les « territoires perdus de la République » faite à des jeunes femmes qui veulent vivre librement.

Pour toutes ces raisons, l’interdiction de la burka, symbole absolu de la soumission de la femme et du communautarisme le plus extrémiste marquerait un indispensable coup d’arrêt.

Mais qu’il soit clair que cette interdiction, avec ou sans une loi nouvelle – nous laissons les juristes définir si les textes existants notamment en matière de sécurité publique sont suffisants –, ne saurait en elle-même permettre de faire face à la situation. Ce serait un symbole fort comme le fut l’interdiction des symboles religieux à l’école. Mais il faut impérativement une politique laïque pour le pays. Celle-ci devrait être portée par les élus républicains au-delà de leur appartenance de parti afin que soit réalisé l’indispensable travail de pédagogie pour promouvoir la laïcité auprès de tous les citoyens et ne pas donner l’impression de vouloir en stigmatiser certains. Une laïcité pour tous devrait conduire à faire respecter et appliquer la loi de 1905, à relancer l’école publique laïque (au moment où va être débattue une loi sur le financement des écoles privées), à garantir le monopole des diplômes nationaux, alors que l’État français vient de signer un accord de reconnaissance des diplômes universitaires du Vatican, à oublier les projets de discriminations dites positives….

Au moment où les français redécouvrent les vertus de la laïcité, ciment de la Paix civile, il est important que sur ces sujets la représentation nationale soit ferme et équitable.

Il existe enfin une autre mais très importante raison d’interdire la burka : c’est la force de ce symbole à l’échelle mondiale et la mission attendue de la France. Ce ne sont pas 200 ou 2000 femmes qui sont concernées par ce voile intégral, ce sont des dizaines de millions à travers le monde : dans ces pays où elles sont battues, reniées, bastonnées, humiliées, interdites d’école, l’onde du message de la France retentit comme un espoir. Ce sont des dizaines de lettres, après l’adoption de la loi sur l’interdiction des signes religieux à l’école et donc du voile que nous avons reçues de femmes d’Algérie, de Turquie, d’Egypte nous disant : « Tenez bon, si vous lâchez nous sommes perdues. Nous avons besoin de vous ».

Ce combat-là, c’est celui de la dignité, de l’égalité, de la liberté, de l’universalisme. Ces valeurs ne sont pas franco-françaises. Au cours de ma vie de journaliste parcourant le monde j’ai entendu les opposants aux dictatures me dire combien dans leur résistance ils avaient au cœur le message historique de la France républicaine, la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen, la laïcité. Et même si cette image est un peu symbolique, j’en demeure fier et je crois profondément qu’elle doit être au cœur de la politique à mettre en œuvre en France et à promouvoir dans les instances internationales. Car ces valeurs universalistes sont dénoncées depuis les tribunes des Nations Unies, rejetées comme une expression « colonialiste » et « islamophobe » par ceux là même qui les bafouent. C’est l’arroseur arrosé !

Le 15 septembre, hier, la 64ème assemblée générale des Nations Unies s’ouvrait sous la présidence libyenne et le Conseil des droits de l’Homme allait présenter un texte soi-disant sur le racisme condamnant comme islamophobe toute critique de pratiques religieuses ! La France aimée dans le monde, c’est celle des Lumières. Il importe de donner un signal fort et d’exprimer la solidarité à l’égard de ceux qui défendent les mêmes valeurs parfois au péril de leur vie.


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