par Guylain Chevrier, membre de la mission laïcité du Haut Conseil à l’Intégration (2010-2013). 3 novembre 2014
L’actuelle ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a déclaré que : « dès lors que les mamans ne sont pas soumises à la neutralité religieuse (…), l’acceptation de leur présence aux sorties scolaires doit être la règle et le refus l’exception ».
On notera la forme choisie pour prendre cette position en donnant l’impression par ce « dès lors », que la ministre ne ferait que suivre un état donné de la loi qu’il s’agirait finalement simplement d’appliquer, alors que cette décision lui revient de pleine responsabilité. Elle a mis un terme par cette déclaration à la circulaire Chatel de 2012, qui posait la possibilité d’interdire de sortie les parents manifestant « leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques » et que Vincent Peillon, ministre de l’Education, n’avait pas souhaité remettre en cause.
Le Défenseur des enfants précédent, Dominique Baudis, avait interrogé le Conseil d’Etat qui, dans le prolongement de ses avis devait choisir l’ambiguïté, comme cela est par trop dans l’esprit ambiant dès qu’il est question de laïcité, estimant que les accompagnateurs n’étaient ni « agents » ni « collaborateurs » du service public, et n’étaient donc pas soumis aux « exigences de neutralité religieuse », en laissant possibles pour faire bonne mesure certaines restrictions liées au trouble à l’ordre public.
C’est devant l’Observatoire national de la laïcité, initié par le Président de la République (2013), que la ministre a choisi de faire cette annonce. Cette même institution qui expliquait, dès ses tous premiers pas, par la voie de son président Jean-Louis Bianco, qu’il n’y avait aucun problème avec la laïcité en France ! Une déclaration sidérante pour les acteurs de terrain dans ce domaine, qui relèvent une augmentation constante des revendications communautaires à caractère religieux venus principalement d’un islam pratiquant et militant, qui dispute régulièrement la règle commune pour en obtenir des aménagements, mettant à mal notre République et ses valeurs.
La ministre a choisi délibérément de promouvoir l’affichage de signe religieux de mères d’élèves lors de sorties scolaires. Pourtant, à l’intérieur où à l’extérieur des murs de l’établissement scolaire, les enfants sont pris en charge dans le cadre d’une mission pédagogique qui relève de l’école, et donc sous ses obligations, sous ses valeurs, dont la neutralité religieuse est une de ses dimensions essentielles avec l’obligation et la gratuité.
C’est un fait depuis sa fondation en 1881-1882 par un certain Jules Ferry. L’école publique, l’école de tous, a pu voir le jour grâce au dégagement de la tutelle religieuse de l’Etat, pour pouvoir jouer ce rôle d’éducation à la citoyenneté qui est le sien. Le rôle de l’école, ce n’est donc pas simplement d’éduquer de futurs salariés à un marché concurrentiel, mais d’éduquer à des valeurs collectives, sur lesquelles repose notre République laïque et sociale. C’est bien ce à quoi s’oppose totalement les manifestations religieuses ostensibles de parents accompagnateurs qui remplissent bien, qu’on veuille le voir ou non, un rôle d’encadrant secondant le service public de l’école et donc devant se conformer à ses valeurs et missions.
Cette posture de la ministre s’inscrit dans le prolongement de la fameuse Feuille de route sur la politique de l’intégration du gouvernement Ayrault, qui entendait la refonder dans le sens d‘une reconnaissance des communautés religieuses ou/et culturelles. C’était tirer un trait sur la conception d’une intégration républicaine fondée sur la citoyenneté, c’est-à-dire, des droits et des devoirs, des libertés et des responsabilités au regard d’un même bien commun à tous. Une démarche qui était allée jusqu’à la proposition de l’abrogation de la loi d’interdiction des signes religieux ostensibles dans l’école publique du 15 mars 2004, dévoilant là un véritable choix de société.
C’est bien cela qui se dessine derrière cette posture, qui n’a rien du hasard pour redonner ici à la religion, peut importe laquelle, du pouvoir sur l’école publique qui devrait être un sanctuaire de la laïcité.
On sait combien une forte tendance de l’islam communautaire, qui s’identifie pour beaucoup au port du voile, milite à travers celui-ci à un retour du religieux dans le politique, refusant la supériorité de la loi sur la foi en ce qui concerne les principes qui définissent la vie commune au sein de notre société. Aussi, par là, on sait que les signes religieux ostensibles, dont le voile fait partie, manifestent le refus du mélange au-delà de la communauté de croyance.
Ainsi donc, ces signes concourent à l’enferment religieux, à la séparation qui conduit au communautarisme, autrement dit, à des communautés séparés et concurrentes sur le fondement des différences, des particularismes. Encourager cette revendication du port du voile pour ces mères qui entendent encadrer les sorties scolaires de tous les enfants, c’est encourager une vision éclatée et séparée de ces derniers selon des appartenances qui submergent l’appartenance à la communauté nationale et divise.
Cette décision interroge le sens même donné à une gauche qui est censée être du côté du peuple, et se révèle du côté d’un retour du religieux contre son école qui a toujours joué contre l’intérêt du grand nombre. Cette décision fait le lit du multiculturalisme qui segmente la société pour faire voler en éclats les forces sociales, celles grâce auxquelles ont été conquis nos acquis sociaux qui bénéficient à tous au-dessus des différences. Des acquis sociaux qui ont tant été mis à mal, de la droite à la gauche au pouvoir, ces dernières années.
« Le marché, plus Dieu ! »
Il faut tout de même bien voir que l’attaque menée contre la laïcité de l’école et l’ouverture à une pénétration du religieux et du différencialisme partout dans notre société, constitue un instrument de division et par là-même, de domination. La formule, « le marché, plus Dieu ! », traduit sans doute le mieux dans quel sens converge cette décision. Elle reflète l’installation d’un libéralisme ayant pour seul valeur l’enrichissement individualiste contre les autres, dont l’immoralité en appelle à une « caution morale » des religions.
On entend ainsi réencadrer par les Eglises le peuple, mis en lambeau par cette logique à la fois individualiste et identitaire qui démantèle la Nation. Voilà pourquoi aussi, combat laïque et combat social sont si étroitement liés ! C’est notre cohésion sociale qui est mise en péril et notre vivre-ensemble, notre mixité sociale et culturelle, notre capacité au mélange qui a fait le succès du creuset français et de l’intégration républicaine, à être des égaux en droit avant nos diverses appartenances.
La laïcité assure la liberté de conscience pour tous les citoyens, a fortiori les enfants qui doivent y être éduqués. Les enfants doivent pouvoir déposer à la porte de l’école la tradition et la religion, pour qu’ils puissent trouver par l’instruction qui émancipe, le chemin des libres choix de chacun et donc, de la liberté.
Des encadrants de sorties scolaires, exprimant de façon ostensible leur appartenance religieuse, vont ainsi pouvoir jouer d’influence sur l’ensemble des enfants qu’ils accompagnent au nom de l’école laïque, ce qui est proprement scandaleux ! Les autres parents seraient en droit de réclamer des comptes au regard de la façon dont ici on bafoue leur autorité parentale, alors que les choix de conviction ou de religion de leurs enfants sont du seul ressort de leur autorité parentale.
L’école doit garantir aux parents de tous les enfants que ceux-ci seront pris en charge de façon neutre, égale. Il faut appeler les parents, qui veulent voir respecter ce principe, à refuser l’application de cette directive de la ministre !
De plus, cette dernière par cette décision donne un drôle d’exemple aux enfants, particulièrement aux filles de même origine que ces mères portant le voile, créant les conditions d’une assignation à celui-ci. Rappelons, comme l’expose le Coran, qu’il est un signe de « vertu » religieuse (Sourate XXXIII, verset 59) qui signifie la soumission à un ordre patriarcal inégalitaire entre hommes et femmes (Sourates II verset 282 et IV verset 38).
On peut s’interroger de ce fait si l’on se remet en mémoire un instant, que Mme Najat Vallaud-Belkacem fut, il y encore peu, ministre des Droits des femmes…Il en va donc aussi, pour le moins, du respect dû aux enfants, et de l’esprit dans lequel ils feront société en se considérant ou non, par-delà leurs sexes, égaux, demain.
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