29 mars 2016
"Ghislain Gilberti est désormais sous protection policière. La raison : Le Festin du serpent, un polar sur les relations entre narcotrafiquants et djihadistes.
Vous avez porté plainte parce que, dans la nuit du 9 au 10 mars, des hommes ont tenté de forcer votre domicile à Belfort aux cris de « Allahu Akbar ». Ils vous ont explicitement menacé de mort, ainsi que vos deux enfants.
Ghislain Gilberti : En pleine nuit, de grands coups violents ont été frappés contre ma porte, ne laissant aucun doute quant au fait qu’on ait tenté de la forcer. Des cris ont commencé à résonner dans la rue et dans le hall de l’immeuble. Mes volets roulants ont été forcés et des menaces proférées de manière explicite : « Avec ton Festin du serpent, tu salis notre cause. On va revenir quand tu auras tes enfants et faire de chez toi un petit Bataclan. On a des kalachnikovs. » Tout a été vite, trop vite. Je n’ai pas eu le temps de réagir. Le bruit a réveillé des voisins, des lumières se sont allumées dans les autres immeubles, ce qui a poussé les agresseurs à quitter les lieux. Le fait que mes deux enfants aient été ciblés rend la situation inquiétante. Je me suis rendu dès le lendemain matin au commissariat pour déposer plainte, relatant les faits tels qu’ils se sont déroulés. Les forces de police belfortaines, très compréhensives et compétentes, ont pris cette affaire au sérieux. J’ai été placé sous protection policière, dans le cadre de l’état d’urgence. Une enquête est en cours. Le pire pour moi, c’est que je dois renoncer à recevoir mes enfants à mon domicile [il est séparé de leur mère, NDLR] et vais même, sur des conseils avisés, prendre un peu de recul à l’étranger.
À l’origine de cette tentative d’intimidation, votre dernier roman, Le Festin du serpent, œuvre de fiction pour laquelle vous vous êtes plongé dans les arcanes des services de police et du terrorisme djihadiste.
Il m’aura fallu deux ans de recherches et de documentation, ainsi que des enquêtes de terrain, pour saisir toute la matière que je désirais inclure dans mon œuvre. J’ai étudié le droit pénal, la médecine légale et bien d’autres domaines pour le côté « police ». Pour ce qui concerne le djihadisme, j’ai passé du temps avec un homme qui avait été sur le point de s’engager dans la voie du fanatisme religieux le plus dangereux et qui a vite compris où ceci allait l’entraîner, heureusement pour lui. J’ai recueilli ses confidences. Fort de ce contact, qui m’en a apporté d’autres, j’ai été à même de me plonger littéralement dans le quotidien d’une cellule dormante.
Je suis persuadé aujourd’hui que c’est la raison principale pour laquelle j’ai été ciblé. Mes agresseurs me reprochent de salir « leur cause ». Comme si « leur cause » se finançait « dans la pureté » ? Ils planquent pendant des mois, parfois pendant des années. Cela nécessite beaucoup d’argent. Et d’où provient cet argent ? J’ai été très précis sur les méthodes de financement, de recrutement, de conditionnement et de fonctionnement des terroristes. J’ai montré comment ces groupuscules indépendants, qui sont aujourd’hui l’arme principale des imams de la haine, et dont l’organisation est très différente de celle des générations précédentes qui frappaient depuis un état-major centralisé, parviennent à prospérer et à s’étendre au nez et à la barbe des autorités. Mais je ne regrette rien. Je refuse de me laisser intimider. Faut-il s’attendre à passer sur le bûcher si l’on écrit un roman sur la sorcellerie ? Non. Faut-il se taire plutôt que de décrire le réel ? Non. Aujourd’hui, la liberté d’expression est plus en danger que jamais.
Y a-t-il un lien entre l’héroïne des narcotrafiquants et les cellules djihadistes ?
Depuis le milieu des années 1990, le prix de l’héroïne n’a cessé de chuter, et c’est significatif : en dix ans, la dose est passée de 80 euros à 20 euros le gramme. En constatant qu’elle était devenue moins chère que le whisky, j’ai eu l’intuition du problème. L’utilisation de ce produit présente un double intérêt pour les terroristes narcotrafiquants : empoisonner notre jeunesse - cette drogue est très addictive et destructrice - et, surtout, changer un produit intraçable contre de l’argent cash pour financer ces petites cellules djihadistes dormantes qui prospèrent partout en Europe. Contrairement aux mouvements financiers qui pourraient laisser des traces exploitables par Interpol et les services de sécurité publique des pays concernés, le trafic de drogue est anonyme. Donc l’héroïne inonde nos villes.
Vous n’êtes pas seulement auteur de romans policiers, mais aussi un militant antifasciste...
J’ai participé à des actions contre des camps de rétention d’immigrés à la fin des années 1990 avec No Border. Je combats toute forme de discrimination raciale, de racisme et de fanatisme depuis de très nombreuses années et mon soutien n’a jamais faibli. Je crois que c’est ce qui me rend le plus amer. Mais le quartier où je vis à Belfort est très cosmopolite. Des gens de toutes confessions et origines sont venus me soutenir. Ils me connaissent. Ceux qui me menacent ne sont pas les bienvenus."
Lire "Menacé de mort pour un polar sur les cellules dormantes djihadistes".
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