(Marianne, 1er août 24) 12 août 2024
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"Dans ce troisième numéro, « Marianne » s’intéresse à l’inversion du sujet dans une question. Faut-il placer le verbe devant le sujet pour interroger ? C’était la règle jusqu’à ce que les Français emberlificotent l’art de poser la question.
Par Frédéric Pennel
Lire "L’inversion du sujet dans la phrase interrogative, une tournure qui tourne mal".
Dans le Dîner de cons, Thierry Lhermitte l’assure : « Il s’appelle Juste Leblanc. » Ce qui interroge Jacques Villeret : « Ah bon, il n’a pas de prénom ? » Conformément aux standards actuels, il n’inverse pas le sujet et le verbe pour questionner. « N’a-t-il pas de prénom ? » aurait eu un parfum désuet, trop théâtral, tel un vaudeville. À la manière de la baronne Duverger, dans Un fil à la patte, qui demande : « Viviane, où as-tu appris à prononcer ces mots-là ? »
Alors que « do you want ? » est employé sans snobisme dans l’anglais oral, la formulation « veux-tu aller au ciné ? » apparaît affectée. Pas très naturelle. Comme si les Français avaient désormais la flemme de pratiquer cette gymnastique. Alors, forcément, nos questions ont perdu de leur éclat. Les titres de films en témoignent. Qu’a-t-on fait au bon Dieu pour passer, en quarante ans, de Paris brûle-t-il ? à Eh mec ! Elle est où ma caisse ?, un film de 2000 avec Ashton Kutcher ?
Alors, certes, tout n’était pas mieux avant. N’empêche, l’art de la question semblait plus simple dans l’ancien français. Un simple « dort Marie ? » permettait de se renseigner sur son sommeil. Mais, à partir du XVe siècle, on a introduit un pronom en fin de question, ce qui est venu tout compliquer pour aboutir à « Marie dort-elle ? ». On le devine, ce pronom est depuis passé à la trappe pour former nos questions contemporaines : « Marie dort ? » ou même « Marie, elle dort ? » « Longtemps cantonnées à un registre familier, ces formulations relâchées se sont diffusées à l’écrit à partir du XIXe siècle », confirme le linguiste Gilles Siouffi.
Le « on » supporte bien l’inversion
Maintenue dans le registre soutenu, l’inversion est devenue le moyen de solenniser sa question. Son usage est adéquat lorsqu’un tribun souhaite provoquer un effet rhétorique maximal. « Dans la réalité judiciaire, qu’est-ce que la peine de mort ? », interrogeait Robert Badinter lors de son discours sur l’abolition. « En fait, ce sont surtout des facteurs stylistiques et contextuels qui vont influencer l’utilisation de ces structures dites de prestige, parce qu’elles sont un peu vieillottes », remarque le linguiste Mathieu Avanzi. Ce n’est pas tout. « En fonction des verbes ou des personnes, l’inversion résiste plus ou moins bien, note Gilles Siouffi. Le “on”, par exemple, supporte très bien l’inversion ». Peut-on tout dire ? Est-on en dictature ? Le pronom « on » apparaît idéal pour interpeller.
En parallèle est apparue, également au XVIe siècle, la forme « est-ce que », qui a fait florès en dépit de sa lourdeur. Elle permet à Arletty de s’indigner : « Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » Dans un autre style, elle permet à Charles de Gaulle de s’attirer les bonnes grâces des Français en 1958 : « Est-ce que j’ai jamais attenté aux libertés publiques fondamentales ? Je les ai rétablies. » Et de poursuivre : « Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans je commence une carrière de dictateur ? » En deux questions, le Général a retourné l’opinion publique.
Enfin, dans cette foire aux questions, certains archaïsmes ont survécu. Dans l’ouest de la France, en Bourgogne ou dans le Berry s’entendent encore des « ça va-ti ? ». À Montréal, les serveurs demandent « tu prends tu du café ? », qui s’utilisait encore en France au XVIIe siècle. D’ailleurs, l’inversion simple (« viens-tu ? ») résiste davantage au Canada. Bref, pour vous faire parler, le français a plus d’une tournure dans son sac.
Voir aussi dans la Revue de presse tout le dossier Marianne "Disparu du français" (été 24) dans Langue française dans Être Français (note de la rédaction CLR).
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