Revue de presse

"Mais qu’observe donc l’Observatoire de la laïcité ?" (Marianne, 27 fév. 15)

G. Chevrier, Y. Dilas-Rocherieux, M. Narvaez, anciens membres de la mission laïcité du Haut Conseil à l’intégration. 2 mars 2015

"Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène, respectivement président et rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, ont publié une tribune dans Marianne (n° 930). Que nous disent-ils ? Rien ! On y retrouve le même flou que dans l’avis de l’Ob­servatoire et ses 11 préconisations du 14 janvier dernier, à la suite des événements tragiques que l’on sait.
L’organisme qu’ils dirigent est pourtant chargé d’éclairer l’action gouvernementale en matière de laï­cité ! Ils usent du poncif des « deux laïcités », une qui serait « incanta­toire » (?) et l’autre qui « se vivrait au quotidien » et est un « enjeu de liberté ». Mais que vivons-nous au quotidien, sinon des atteintes graves et répétées à la laïcité et à la liberté ? Serait-il « incantatoire » de dénoncer ces atteintes ?
Suit un rappel des conditions de la création de la loi de 1905, « pour assurer le vivre-ensemble dans un pays qui connut de terribles guerres de Religion ». Hormis le fait qu’elle fut, avant tout, une loi nécessaire à l’édification d’une République des citoyens qui passait par son déga­gement de la tutelle religieuse, cette loi serait-elle devenue obsolète au moment où la religion est utilisée pour justifier la guerre partout dans le monde ?

Ensuite, MM. Bianco et Cadène revendiquent leur fameuse phrase « La France n’a pas de problème avec sa laïcité » [1], selon eux déformée. Mais n’est-ce pas en raison même de son ambiguïté ? Combien de fois a-t-il été répondu à ceux qui ont alerté sur les problèmes concrets : « Circulez, il n’y a rien à voir ! » Alors que, dans les écoles, les lycées, les universi­tés, les hôpitaux, les entreprises, les grignotages de l’espace public par le religieux progressent, ac­compagnés d’exigences à caractère religieux...
Leur texte admet que « des revendications à caractère religieux prennent parfois des formes agressives ». La solution ? Les trois guides édités par l’Observatoire. Or, tous font de larges concessions aux prétentions religieuses ! Ainsi celui qui porte sur les structures socio-éducatives prenant en charge des enfants justifie-t-il la liberté totale d’expression religieuse des salariés dans les structures privées, contre la neutralité qui, en raison de la déon­tologie du travail social, y prévaut généralement !

Parmi les préconisations de l’avis de l’observatoire du 14 janvier, le très problématique « soutien à la création d’établissements privés de théologie musulmane », la « multi­plication des formations à la laïcité » venant seulement en dernier ! Il y est encore question de l’intégration dans les programmes scolaires « du récit national » des jeunes Français d’origine africaine, de la création de « postes de chercheurs sur l’isla­mologie », et du renforcement de l’enseignement du fait religieux à l’école... Autant de propositions appuyant sur les différences, lorsque l’heure est à insister sur nos valeurs et règles communes qui fondent notre vivre-ensemble !
Partant d’une telle confusion, comment l’Observatoire donnerait­-il le cap ? Rien d’étonnant dans ces conditions que trois de ses membres et non des moindres (Jean Glavany, député, Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République et Françoise Laborde, sénatrice) aient, dans un communiqué, dénoncé à la fois l’absence de toute délibération collective et consensus avant la publication de l’avis, et l’incohérence de ses propositions « angéliques et pusillanimes, cosmétiques dans le meilleur des cas », et pour certaines « antilaïques » [2].
N’est-il pas temps de se reprendre ? D’écouter, dans la suite du discours du président de la République, l’injonction toute récente du Premier ministre : « mobi­liser la société autour de la laïcité » ? Pour ce faire, loin des consensus mous et des atermoiements, il nous faut dire qu’il n’y a qu’une laïcité, forgée par une loi simple, qui garan­tit, par la distinction entre espace public et privé, la liberté et l’égalité, c’est-à-dire l’absence radicale de concession à quelque option reli­gieuse ou philosophique que ce soit.

Ne peut-on mettre en place des moyens rigoureux d’intégration, avec l’enseignement de la laïcité et, avant même celle du religieux, l’his­toire des grandes civilisations por­tées par les religions polythéistes, monothéistes, mais aussi par les principes rationnels qui ont permis la sécularisation de nos sociétés ? Ne doit-on pas enfin rappeler en priorité ce qu’est la maison com­mune, son histoire et ses capacités à accueillir des populations d’origines diverses à partir du moment où cha­cune reconnaît un corpus de règles et de normes communes ? Une telle démarche implique le rétablisse­ment des statuts d’autorité du côté des professeurs et des adultes, pour amener toute la jeunesse à faire le lien entre autonomie individuelle et règles collectives. Il en va de la communauté de destin que forme la nation, une société d’égaux où vivent librement les différences quand celles-ci ne mettent pas en danger la cohésion sociale."


Anciens membres de la mission laïcité du Haut Conseil à l’intégration, Guylain Chevrier est formateur en travail social et consultant, Yolène Dilas-Rocherieux maître de conférences en sociologie politique, Michèle Narvaez professeur de lettres honoraire en classes préparatoires aux grandes écoles.


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