Edito du Président

Lutter contre le Front national exige plus et mieux de laïcité (30 mars 15)

par Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République 30 mars 2015

Il est des moments dans l’histoire où la division des républicains, au sein de la droite et de la gauche, fait le lit de l’extrême droite.
Nous y sommes.
Même sans avoir conquis de conseil départemental, le Front National a franchi un nouveau pas important dans son enracinement et sa marche vers le pouvoir.
En y ajoutant le poids considérable des abstentions, on prend la mesure de la crise de la démocratie. A force de jouer avec le feu...

Faudra-t-il que l’extrême droite soit en situation de gagner la présidentielle pour qu’enfin les républicains prennent la mesure du danger et se donnent les moyens de mettre un terme à son irrésistible ascension ?

Faut-il encore avoir la volonté de comprendre, d’entendre les électeurs, d’en finir avec le déni des réalités.

Le chômage, le niveau de vie fragilisé, le mal-logement, sont bien évidemment au coeur des causes du mécontentement, de la colère, qui viennent de s’exprimer dans les urnes.
La question sociale, si grave soit-elle, ne saurait pour autant, tel un dogme religieux, tout expliquer à elle seule.
La France connaît la crise sociale mais aussi la déchirure culturelle [1]. Un véritable malaise s’est instauré avec le développement du modèle multi-communautariste. Des identités de substitution, blacks, blancs, beurs, feujs, homos, corses, bretons, basques... tout à fait respectables par ailleurs, se sont installées en lieu et place de l’identité nationale.

Or, seule celle-ci fait de chacune et de chacun, quels que soient ses origines, ses appartenances, sa couleur, son sexe, un citoyen libre et égal en droit des autres.

Le vivre-ensemble, inauguré par de louables intentions, s’est mué en communautarisation de la société, qu’avait déjà identifiée le rapport Obin en 2004. C’est le vivre à-coté quand il ne s’agit pas du vivre les uns contre les autres.

Depuis, le mal n’a fait que s’aggraver. Toutes les institutions, de l’école à l’hôpital, de la police aux prisons, les lieux d’enseignement, des crèches aux universités, les lieux de travail, des cités aux campagnes, des espaces de culture à ceux réservés au sport, connaissent ces troubles, ces empêchements, ces conflits qu’une partie de la gauche préfère ignorer, car politiquement incorrect.

Désormais, tout partisan de la citoyenneté, de l’égalité des droits et des devoirs, de la liberté de conscience, est aux yeux de certains un "islamophobe" doublé d’un raciste !
L’antiracisme, qui devrait rassembler tous les républicains contre toutes les formes de discriminations, devient, par son instrumentalisation, un sujet de profonde division. Depuis des années, des intellectuels avaient labouré le terrain idéologique pour faire croire que la reconnaissance identitaire de la diversité constituait le visage nouveau de la lutte sociale pour le progrès !
Une nouvelle fois, les dogmatiques ont voulu faire entrer de force la réalité dans la théorie. Ainsi, affirment-ils, les descendants des peuples colonisés vivant en France constitueraient la nouvelle classe ouvrière dont il conviendrait d’aller chercher les votes, en lieu et place d’un prolétariat perdu ! Telle était la proposition du think tank "Terra Nova", dont on dit qu’il est bien représenté dans les allées du pouvoir.
Abandonnée donc, la référence à l’universalisme des principes des Lumières, le cosmopolitisme, le métissage, qui ont accompagné la culture de la gauche tout au long de son histoire, au profit des quêtes identitaires, des particularismes, des différentialismes.

Les travailleurs n’avaient pas de patrie. On leur retrouve des tribus !
Amusante sur les plateaux de télévision, la réalité concrète sur le terrain se révèle toute autre.
L’affaiblissement de l’Etat-Nation, le sentiment d’impuissance du politique sur l’économique, les reculs de la République, mis en lumière par les travaux de Gilles Kepel [2], la pression des communautarismes sur les pouvoirs locaux, tout cela, français et immigrés qui demeurent dans les quartiers populaires le vivent au quotidien. Tout le monde le sait mais il est difficile d’en parler sans être pris en étau entre l’extrême droite qui stigmatise les musulmans et les communautaristes qui traitent les laïques de racistes !

Le discours nationaliste cherche à instrumentaliser les mécontentements, les peurs. Il est en voie d’y parvenir après le véritable hold-up tenté par l’extrême droite sur la laïcité [3], elle qui, tout au long de son histoire, pour l’essentiel, s’est identifiée à une France blanche, catholique, apostolique et romaine.
Le discours essentiellement social, quant à lui, cherche à masquer la dimension culturelle du débat, convaincu de gagner ainsi un électorat communautaire dont il imagine qu’il lui appartiendrait naturellement en quelque sorte !

Le débat s’est ouvert ces dernières semaines, virulent, par voie de tribunes de presse. On a vu qu’au merveilleux sursaut de fraternité républicaine, au lendemain des attentats de janvier, a succédé un pilonnage de prises de positions communautaristes d’intellectuels de gauche disant, en gros "La laïcité, voilà l’ennemi !"
A droite, sentant les contradictions de la gauche, on s’est lancé, en haut lieu, sur un registre "Plus laïque que moi, tu meurs". Pour un peu, on aurait obligé tous les enfants à manger du porc, là où certains communautaristes souhaiteraient que l’on serve à tous de la viande hallal. Sans oublier ceux qui, prétendant sauver la République laïque, voudraient que tous les menus soient végétariens !

Cela prêterait à rire par tant d’opportunisme politicien et d’inculture laïque !

Mais sous ce fatras, au coeur de cette confusion idéologique, c’est le centre de gravité de la démocratie politique qui bascule. Le Front national n’a qu’à attendre son heure face à l’incapacité des républicains à traiter le problème. La laïcité n’est plus un sujet de débat philosophique, éthique, mais est désormais profondément, essentiellement, politique. L’enjeu n’est pas seulement la liberté de conscience des enfants, des citoyens, l’égalité entre tous. La laïcité constitue l’indispensable outil pour lutter contre toutes les stigmatisations, toutes les formes de racisme. Pour mailler le lien entre les citoyens, le lien de la Nation.

Pour promouvoir la Fraternité face aux peurs et aux haines. Pour lutter contre le Front national.

Le moment est venu de choisir : lutter contre l’extrême-droite exige plus et mieux de laïcité.

Manuel Valls a pris la mesure du danger qui déclarait, au lendemain des attentats barbares de Paris : "On a laissé passer trop de choses sur la laïcité." (Assemblée Nationale, 13 jan. 15). Au soir du second tour des départementales, il persistait, déclarant que la laïcité était au coeur de son projet.
Aura-t- il les moyens de sa politique ? Ou bien la bataille idéologique emportera-t-elle les digues républicaines ?

La gauche communautariste prendrait une très lourde responsabilité à persévérer dans le déni. Mais son aveuglement est aussi inquiétant que pouvaient l’être ceux qui, dans les années 1930, déclaraient "Plutôt Hitler que Blum".
La droite républicaine, de son coté, en dépit de son indiscutable victoire aux départementales, prendrait une responsabilité aussi lourde à entretenir la confusion entre ses racines gaullistes et des accommodements avec l’extrême droite. Ses aller et retours sur la laïcité, entre le discours de Latran et l’offensive sur le porc à l’école, donnent davantage à penser à des positionnements électoralistes qu’à des convictions républicaines.

Et le pays est las de ces jeux de rôle, de ces attitudes opportunistes qui peuvent dégoûter de la politique et donner à certains le sentiment qu’après avoir voté pour la gauche, pour la droite, ils pourraient impunément essayer le Front national !

Les départementales ont marqué une étape inquiétante pour la démocratie. Plus que jamais, c’est vers une République plus sociale et plus laïque qu’il faut orienter le pays. Difficile, tant le débat partage et la gauche et la droite.

Patrick Kessel
président du Comité Laïcité République


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