Note de lecture

Louis Sébastien Mercier : Aux origines de 1789

par Jacques Lafouge 23 octobre 2014

Louis Sébastien Mercier, Le Tableau de Paris (1782).

Qui se souvient de Louis Sébastien Mercier ? Les amateurs de romans d’anticipation, de L’An 2440, rêve s’il en fut jamais peut-être. Qui était-il ?

Bien qu’aujourd’hui dans un quasi oubli, ce fut un écrivain très prolifique : romans, poèmes, essais, plus de 40 pièces de théâtre. Au milieu des années 1780 il publia un essai : Le Tableau de Paris ou observations sur le Paris de cette époque. En 1789 il fut membre des Jacobins avec lesquels bien que membre de la Convention il rompit néanmoins en 1793. Arrêté puis libéré en Thermidor, il réintégra alors la Convention puis fut membre des Cinq-Cents jusqu’en 1797 et membre de l’Institut à, partir de 1795. Il fut proche de Bonaparte Premier Consul et rompit avec l’empereur.

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Le Tableau de Paris, écrit sous la royauté, est à la fois la description d’une ville et une critique souvent féroce du régime politique en place.

Si la description est intéressante du point de vue sociologique, l’aspect critique nous passionne de la part de quelqu’un qui souligne notamment les abus du fisc et la misère du peuple mais entrevoit peu la révolution à venir. Sur ces sujets il s’exprime avec une certaine prudence du fait de la répression et de l’emprisonnement toujours possible.

Du foisonnement d’idées exprimées retenons celles qui ont trait aux impôts, tant ce sujet est actuel, et en se souvenant que le problème fiscal fut à l’origine de la Révolution.

Il commence prudemment : « Le monarque, jouissant du trône de l’Europe le mieux affermi, le plus honoré, le plus tranquille, environné de tous les respects, de tout l’amour de ses sujets et de toutes les jouissances, pourrait-il être méchant ? Non, l’idée de peser sur un sujet par caprice ou par haine ne peut pas plus entrer dans son esprit que dans celui d’un sujet le projet insensé d’attenter à son autorité. »

S’il y a mécontentement il faut en chercher la cause ailleurs : « La superstition habite toujours chez les peuples pauvres et malheureux qui souffrent des attentats d’un fisc dévastateur. »

Ces précautions prises, il poursuit : « Les agents de la finance moderne , calculateurs impitoyables, semblables aux vampires qui vont encore sucer les morts, donnent le dernier coup de cabestan sur un peuple déjà mis an pressoir. A la longue, tant de fardeaux accumulés le font succomber. Les éternelles lois prohibitives enchaînent l’industrie ; on lui a ôté son ressort. »

Et il ajoute : « ...la consommation est faible : le gouvernement gagnerait davantage en percevant moins. Un enfant fait un bouquet de la fleur de l’arbre, sans s’embarrasser du fruit : voilà l’image de la douane. »

Il précise ensuite sa pensée, dans un réquisitoire sans concessions, sur l’inégalité sociale : « Il n’est presque pas possible, dans la situation actuelle de notre gouvernement, qu’il ne se trouve un grand nombre de coupables, parce qu’il y a une foule de nécessiteux qui n’ont qu’une existence précaire, et que la première loi est qu’il faut vivre. L’horrible inégalité des fortunes, qui va toujours en augmentant, un petit nombre ayant tout et la multitude rien ; les pères de famille dépouillés de leur argent ... et ne laissant presque plus à leurs enfants que des contrats en parchemin annulés à leur décès ; le fardeau de la misère, la dureté insolente du riche qui marchande la sueur et la vie du manouvrier, les entraves mises à l’industrie, les impôts multipliés ..., le haussement prodigieux des denrées, les routes du commerce obstruées, tout précipite l’infortune dans un inévitable désordre. Arrivent les lois pénales... mais on corrige rarement le mal qu’on a point su prévoir… Mais trente mille riches, d’un autre côté, gaspillent ce qui nourrirait deux cent mille pauvres ».

Il y a cependant des remèdes liés, par exemple à la propriété : « Pour que toute république fleurisse, il faudrait que chaque citoyen fût propriétaire, et se montre jaloux des devoirs et des droits que ce titre suppose : car il n’y a point de patrie pour quiconque n’a aucun lien qui l’attache au sol qu’il habite. »

Il insiste d’ailleurs sur ce point : « Dans les pays où le peuple jouit d’une certaine aisance, les citoyens même des dernières classes sont fidèles à la loi, de la nature ; la misère ne fit et ne fera jamais que de mauvais citoyens. »

Alors quelle solution ? Il ne croit pas à un changement brutal : « Une émeute qui dégénérerait en sédition est devenue moralement impossible. La surveillance de la police, les régiments des gardes suisses et françaises casernés et tout prêts à marcher, la maison du roi, les villes de guerre dont Paris est environné, sans compter un nombre immense d’hommes attachés aux intérêts de la cour, tout semble propre à réprimer à jamais l’apparence d’un soulèvement sérieux. »

Il souligne de nouveau : « C’est peut-être parce que les émeutes sont rares à Paris qu’une émeute sérieuse (si toutefois elle pouvait avoir lieu) deviendrait d’une conséquence alarmante. »

Ces deux dernières considérations sont extrêmement intéressantes car si L.S. Mercier vers 1780 ne croit pas à la possibilité d’une émeute, il sera moins de 10 ans après l’un des acteurs de la Révolution.

Il suffit de changer quelques termes qui ont vieilli pour retrouver une situation proche de l’état actuel de la France. Ne sommes nous pas dans une situation rappelant toutes proportions gardées celle de 1789 : impôts, prix, misère de beaucoup, accaparement et corruption ? Tout ne se met-il pas en place pour que le désespoir ou l’indifférence n’amène des évolutions que nous ne souhaitons pas.

Nos politiques devraient lire J.S. Mercier... au cas où …la République devrait être sauvée.

Jacques Lafouge


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