Luc Le Vaillant, chroniqueur à "Libération". 12 avril 2016
"Je sais bien que je ferais mieux de m’abstenir. Il est évident que mieux vaut éviter de parler boutique. Mais, impossible de résister. Soit, je me mets un bœuf sur la langue, et je passe pour un dégonflé, ce que mon prétendu machisme aurait du mal à supporter. Soit, je joue les taurillons brutaux, et je fonce droit sur le voile rouge qu’on m’agite sous le mufle. Alors, tant pis ! Mieux vaut que ça sorte. Débridons les plaies. Piquez banderilles, encornez musette !
Je vous résume l’histoire qui va sûrement ravir les amateurs des coulisses de la fabrique de l’info. En décembre, j’ai écrit une chronique intitulée « La femme voilée du métro ». Je me moquais de ma peur idiote de ces sombres emblèmes, et j’interrogeais ma répulsion vaguement teintée de fascination devant ces déviances explosives. Comme souvent, je mettais dans mon propos un peu d’ironie, un rien de provocation et un zeste de libido. J’y glissais aussi, et pas en contrebande, ma détestation des religions, islam compris, et ma réprobation devant cet asservissement volontaire qu’est le port du voile même « si chacun(e) fait, fait / c’qui lui plaît, plaît », comme le chantait Chagrin d’amour.
La chose a été diversement reçue, ce qui est bien naturel. Je ne suis pas là pour diluer ma vision des choses dans l’eau tiède. En ces temps écorchés et écorcheurs, il manquait sans doute un avertissement clignotant du genre : « Attention, autodérision ! » mais il est compliqué d’anticiper la lecture par bribes ou le retweet à charge.
Deux activistes islamophiles, Marwan Muhammad du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et Sihame Assbague se sont saisis de l’affaire [1]. Réseauteurs opiniâtres, ils se sont employés à me faire passer pour raciste et sexiste. Ce qui est modérément agréable même si j’ai le dos large. Pour ce faire, ils ont lancé le hashtag #LibeRacisme. Et c’est là que ça s’est compliqué dans la maison Libé, à l’heure « où ça montait sur Twitter » comme on s’en est affolé exagérément rue Béranger où nous étions encore. Si le directeur de la publication m’a défendu, la société des rédacteurs a pris ses distances. Etre lâché par ceux-là même qui sont censés défendre chacun de leurs mandants ne m’a pas réjoui. Mettons cela sur le compte de la précipitation… Et voilà comment, l’âge venu, je me suis découvert plus proche du patron social-démocrate que des camarades syndiqués. Arghhh !
A tort ou à raison, j’ai préféré argumenter en interne plutôt que de m’exprimer à l’extérieur. Pourquoi j’en parle aujourd’hui ? parce que mes deux militants identitaires préférés viennent de resurgir dans Libé. Ils font partie de « ces visages contestés de l’antiracisme » mis en une, le 4 avril. Le traitement est tout ce qu’il y a de journalistique, la distance est bonne, l’édito de Joffrin est salvateur. La seule chose qu’un petit être sensible comme moi encaisse mal, c’est que les contempteurs de LibeRacisme se retrouvent parés par Libération des plumes affriolantes de l’antiracisme.
Je les vois plutôt comme des adeptes du communautarisme, qui luttent contre la discrimination des croyants de leur obédience. Combat tout à fait estimable mais qui n’a rien à voir avec l’antiracisme, qui doit être métissé et multicolore, égalitariste et universaliste. Cause tout à fait supportable jusqu’au moment où la demande de respect mute en interdiction du blasphème, de la satire ou de la caricature. J’ai peur que nos nouveaux « antiracistes » soient assez peu Charlie et d’un progressisme limité en matière d’égalité homme-femme, d’acceptation de toutes les sexualités et de liberté des mœurs. Même si, eux et moi, on pourrait peut-être s’entendre sur la nécessité de partager le travail et de disséminer les HLM, préalables à toute intégration sociale.
Toutes ces algarades ne doivent pas faire oublier qu’au sein de la rédaction, nous sommes d’accord sur 80 % des sujets. Et que si nous avons le chic pour aiguiser nos différends, nous sommes aussi capables de nous accorder sur l’essentiel. A Libé, il existe sans doute quelques islamo-gauchistes qui font des femmes voilées et des barbus, l’avant-garde d’un prolétariat fantasmé qui va mettre à bas le capitalisme. On doit bien trouver aussi deux ou trois petits Jdanov du politiquement correct, ce nouveau PC des temps apeurés, cette charmante déclinaison anglo-saxonne du stalinisme de la bienséance. Il y a surtout beaucoup de belles âmes au cœur sur la main qui font des fondamentalistes quiétistes, des victimes potentielles à défendre par avance de l’accusation de collusion avec les terroristes islamos. Et il y a aussi des mécréants et des incrédules, des athées et des rieurs, des turlupins et des branlotins. J’ai beau me sentir plus proche de ces derniers, je dois avoir en moi un peu de tous les autres. Et c’est pourquoi je suis encore là."
Comité Laïcité République
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