Revue de presse

"Les tours et détours d’Emmanuel Macron pour imposer « l’aide à mourir »" (Le Figaro, 12 mars 24)

(Le Figaro, 12 mars 24) 12 mars 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

RÉCIT - Face à un dilemme éthique, le président a tranché en faveur d’une loi qui mêle développement des soins palliatifs et accès sous condition à une « mort choisie ».

Par Louis Hausalter et Agnès Leclair

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Tout le monde imaginait que le président allait défendre une loi de « liberté ». Il a préféré vanter une loi de « fraternité » , déconcertant les attentes et devançant les attaques. La recherche du nouveau « modèle français » de la fin de vie souhaité par Emmanuel Macron portait en germe des questions vertigineuses. Comment concilier liberté d’accélérer sa mort et devoir de solidarité envers les plus fragiles ? Suicide assisté et prévention du suicide ? Comment adopter une loi sur l’aide à mourir sans envoyer un message mortifère aux quelque 700.000 personnes âgées lourdement dépendantes en Ehpad ? Face à un dilemme éthique, à un impossible « en même temps », le président a tranché en faveur d’une loi qui mêle développement des soins palliatifs et accès sous condition à une « mort choisie ».

Si l’expression malheureuse de « secourisme à l’envers » qui figurait dans l’ébauche du texte dévoilé en décembre n’est plus d’actualité, le projet de loi détaillé lundi par Emmanuel Macron est finalement quasiment identique à cet avant-projet. L’aide à mourir serait accessible aux patients majeurs, atteints d’une maladie incurable avec un pronostic vital engagé à court ou à moyen terme, et des souffrances - physiques ou psychologiques - réfractaires. Ils devront en outre être « capables d’un discernement plein et entier », une condition qui exclue les personnes atteintes de maladies psychiatriques ou d’Alzheimer.

Reste que la ligne rouge de l’interdit de tuer est franchie. Et que la volonté déclarée de montée en puissance des soins palliatifs donne avant tout un effet d’affichage. Les parlementaires qui ont plaidé pour l’examen distinct d’une loi sur les soins palliatifs évoquent même un « chantage ».

Un cheminement tortueux pour Macron
Sur la fin de vie, la bataille des idées passe aussi par la bataille des mots. Les termes euthanasie et suicide assisté, qui désignent pourtant des réalités différentes, ont été effacés du projet de loi. Remplacés par l’expression « aide à mourir », moins anxiogène et moins clivante. Même l’académicien Erik Orsenna, chargé de rédiger un lexique de la fin de vie, a fini par abandonner. Le projet est sans doute devenu trop politique pour l’immortel. Depuis l’interview dans La Croix et Libération, le mot « fraternité » est associé au futur texte de loi. Un « hold-up » pour les opposants à cette réforme qui avaient justement lancé l’alerte sur le message d’abandon des patients envoyé par le projet.

Même en taisant ou en lissant les termes, Emmanuel Macron a donc fini par franchir le pas, au terme d’un cheminement tortueux. Le chef de l’État avait refusé d’ouvrir le dossier durant son premier quinquennat. Sous la pression de son propre camp, il a inscrit la promesse d’une convention citoyenne dans son dernier programme présidentiel. Tout en s’avançant personnellement ensuite. « C’est le moment de le faire, alors nous le ferons », a-t-il promis à Line Renaud, début septembre 2022, en évoquant le combat de l’actrice pour « le droit de mourir dans la dignité ». Dans la foulée, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) avait donné son feu vert à ce changement majeur, en explorant la piste du suicide assisté dans un avis pour des malades dont le pronostic vital est engagé à moyen terme. Une rupture avec l’interdit de tuer qui guide la loi Leonetti-Claeys de 2016.

Depuis ces deux épisodes qui ont sonné le coup d’envoi du débat, le président de la République, d’une prudence de chat, a alterné les messages volontaristes et les doutes sur sa volonté de légiférer sur ce sujet épineux. Après une rencontre avec le pape à Rome en octobre 2022, il affirmait ne pas être « pressé » de légiférer, conscient de l’inquiétude face à une rupture anthropologique majeure. Six mois plus tard, changement de ton devant les 184 membres de la convention citoyenne. Ces derniers venaient tout juste de se déclarer favorables à 75,6 % à l’ouverture d’un droit à une aide active à mourir. L’encre de leur rapport final était à peine sèche que le président précisait déjà les conditions pour accéder à l’aide active à mourir. Les dîners sur la fin de vie organisés à l’Élysée avec des responsables des cultes, des médecins et des philosophes laissaient plus de place à ses « vertiges éthiques » sur ce sujet « intimidant ». Une tentative d’endormir les opposants ? « Il cherche à s’en sortir vis-à-vis de tout le monde, dans un chef-d’œuvre de “en même temps” », confie un participant à la dernière rencontre de ce type, le 8 février.

Cette période qualifiée de « valse-hésitation » par l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) vient de prendre définitivement fin. « Avec ce texte, on regarde la mort en face », assure désormais Emmanuel Macron, contredisant La Rochefoucauld (« Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement »). « Je suis assez sûr du chemin qu’on prend. Ma main ne tremble donc pas », assume-t-il. La nouvelle ministre de la Santé, Catherine Vautrin, autrefois opposée à l’euthanasie, tient désormais des propos plus nuancés. « Nous devrons légiférer d’une main tremblante mais je n’ai pas de difficultés avec ce sujet », a déclaré en janvier celle qui mettait en garde contre « la boîte de Pandore des tentations eugénistes » vingt ans plus tôt. Son argument est le même que celui des anciens opposants à la loi instituant le « mariage pour tous », aujourd’hui repentis : « Notre société a évolué. » Même si les ministres ont, en réalité, peu la parole sur l’aide active à mourir, l’Élysée cherchant à éviter tout brouillage de la parole d’Emmanuel Macron. « On sent bien que c’est de la nitroglycérine », glisse un conseiller.

Forte résistance des soignants
Depuis le départ, le chef de l’État sait aussi qu’il peut s’appuyer sur les sondages. Plus de 80 % des Français se disent régulièrement favorables à l’euthanasie dans les enquêtes d’opinion. Mais il ne s’attendait peut-être pas à une résistance aussi forte des soignants. Attendues, les protestations des catholiques et des associations « pro-vie » n’ont finalement pas créé de grands remous. Ce sont les professionnels de santé, en première ligne de l’application du futur texte, qui ont pris la tête de la contestation. « Donner la mort n’est pas un soin » , ont clamé 13 organisations et sociétés savantes, représentant 800.000 professionnels, en février 2023. Consultés par le gouvernement, ils ont par la suite qualifié la « coconstruction » mise en avant de « fiasco ». D’autant qu’en pleine crise de l’hôpital, les soignants ont les nerfs à vif. En décembre, ils claquaient la porte des réunions avec le gouvernement. La médiatisation d’une version intermédiaire du projet de loi les invitant à pratiquer un « secourisme à l’envers » a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Pour eux, l’expression est devenue le symbole de ce qui les attendait une fois la loi fin de vie adoptée.

« Les soignants nous ont rendu un grand service. Ils ont envoyé aux Français le message qu’il faut y réfléchir, et que s’opposer n’est pas une opinion interdite », confie un pilier de la droite au Sénat. Mais c’est d’abord l’Assemblée nationale qui examinera le texte, à partir du 27 mai. C’est-à-dire deux semaines avant les élections européennes. « On sent la volonté de cliver sur les sujets sociétaux, en jouant les progressistes contre les réacs », campe un député Renaissance, qui estime que les positions ne verseront pas dans un tel simplisme : « Ce n’est pas tellement un clivage droite-gauche, ce sont vraiment les expériences personnelles qui comptent. Et moi-même, je suis incapable de vous dire ce que je vais voter. »

L’aide à mourir concernera uniquement « des personnes qui vont mourir et se savent condamnées à court ou moyen terme », relativise le député Olivier Falorni (MoDem) qui anticipe des débats sur cette notion de « moyen terme ». Dans l’entourage de Gabriel Attal, on se défend de vouloir en faire un enjeu politique : « Ce n’est pas un thème de campagne, mais une priorité du gouvernement ». Qui compte tout de même laisser du temps aux parlementaires. Et donc la latitude, au fil des lectures du texte, d’élargir ou de circonscrire les modalités de cette rupture dans le droit français."



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