Marie-Aude Murail, auteure jeunesse. 12 mai 2021
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"[...] Parfois, ils effectuent une lecture fondamentaliste des textes, décontextualisée, sans recul, sans humour. Ils ont des jugements moraux, mais ils achoppent sur les mots, parfois par manque d’expérience ou de culture littéraire. Le problème est qu’ils n’ont jamais de doutes. Or, le doute fait progresser. Ils n’ont même parfois qu’une idée, fixe. Raison pour laquelle j’ai cité Alain dans ma tribune : « rien n’est plus dangereux qu’une idée quand on n’a qu’une idée ». Ils vont jusqu’à percevoir des propos tenus par un de mes personnages comme mes propres propos, comme s’ils n’avaient jamais appris à distinguer l’auteur, le narrateur et le personnage. J’ai été soupçonnée ainsi de « grossophobie » pour avoir fait dire à une petite héroïne de 10 ans : « Elle est grosse, mais elle est gentille » d’une femme qui n’est autre que la mère de son copain dont on apprend deux pages plus loin qu’elle est… enceinte ! J’ai été accusée de cruauté animale pour avoir écrit dans un manuel de lecture la phrase « Milo tape Riri le rat », phrase là encore tirée de son contexte qui la dédramatise totalement. Devais-je avertir « qu’aucun animal n’avait été maltraité dans ce manuel ? » J’ai dû intervenir pour contrer une pétition sur Change.org et des réactions en chaîne sur les réseaux sociaux. [...]
Je suis restée perplexe quand une de mes correctrices a tiqué en lisant sous ma plume que « deux petits Noirs jouaient au football ». Ce n’était pas à cause du cliché supposé d’enfants noirs amateurs de foot, mais parce que je signalais leur couleur de peau. Si j’étais cinéaste, je n’aurais pas de problème ! Mais voilà, j’utilise des mots. Ma correctrice a aussi voulu que je remplace l’expression « une fille avec des gros seins » par « une fille bien fichue ». Mais il était clair dans le texte, qu’en parlant d’une « fille avec des gros seins », le personnage évoquait les fantasmes de l’adolescent immature qu’il avait été. Il ne faut pas confondre pudibonderie et féminisme, ni perdre de vue que ce qu’on écrit en ce moment sera critiqué dans dix ans avec un autre regard, propre à une autre époque. [...]"
Lire "Interview : Les nouveaux censeurs de la littérature pour enfant".
Lire aussi dans la Revue de presse M.-A. Murail : Littérature jeunesse, "De quoi l’enfer est pavé" (liberation.fr , 26 nov. 19) (note du CLR).
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