Edito

Les dégâts de l’inculture (12 jan. 12)

par Marc Riglet 12 janvier 2012

Deux jours avant Noël, le président de la République a reçu à l’Elysée une compagnie de jeunes prêtres et échangé avec eux sur le monde comme il va.

Ne montons pas, tout de suite, trop impétueusement, sur nos grands chevaux laïcs !

Ne sommes-nous pas, en effet, habitués à ce que les plus hautes autorités de l’Etat nouent, à l’occasion, des contacts avec les dignitaires des Eglises ou, plus largement, des représentants des « familles spirituelles » de la France ? Le Premier ministre se rend annuellement au dîner du CRIF, le rabbin, l’imam et l’archevêque comptent au nombre de ces « forces vives » à qui, chaque année, en janvier, le chef de l’Etat souhaite la bonne année.

En outre, s’agissant de Nicolas Sarkozy, ce type de rencontre s’inscrit, semble-t-il, dans un cycle de mise à niveau culturel qui conduit le chef de l’Etat à recevoir à déjeuner des « intellectuels » et autres artistes. Leur conversation est sensée lui apporter un supplément d’âme et, de son côté, il peut vérifier auprès d’eux ses capacités de séduction. Ne soyons pas, toutefois, sur le sujet, ironique à peu de frais. Nicolas Sarkozy n’est pas le premier de nos présidents à sacrifier à ce genre de rite. François Mitterrand usait et abusait de cette coquetterie, Giscard, assisté d’André Glucksmann, réconciliait Sartre et Aron sur le perron de l’Elysée et, pour respirer l’air frais des hauteurs, De Gaulle avait son Malraux.

Bref, s’il doit y avoir un problème, et même une préoccupation au regard des principes laïques de notre République, ce n’est pas dans le fait que le chef de l’Etat reçoive des hommes d’Eglise mais dans ce qu’il croit devoir leur dire, tel que Le Figaro du 23 décembre 2011 le rapporte.

Passons sur cet « attachement aux racines chrétiennes de la France » qu’il professe, comme c’est maintenant la mode. On n’attend pas de Nicolas Sarkozy qu’il s’avise que, pour faire la République, il n’a pas fallu moins qu’un siècle de « Lumières », une Révolution et une loi en 1905, pour les arracher, ces « racines chrétiennes » ! Passons encore sur le regret exprimé par notre président qu’aient « disparu les grandes voix catholiques » ! A qui, diable, pense-t-il ? A Léon Bloy, ce furieux, mais le connaît-il ? A Bernanos, mais auquel ? Celui de l’Action française ou celui des « grands cimetières sous la lune ». Au père Lacordaire ? Celui qui écrit superbement qu’« entre le pauvre et le riche, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui libère » ? Mais alors, il lui faut réviser son credo libéral.

Non, ce qui est franchement insane, c’est lorsque notre président conjure ses invités de « sortir de leurs catacombes » et de porter avec plus d’énergie leur bonne parole car, leur dit-il, « c’est une parole d’espérance » et que « les gens ont besoin d’espérance ». Non mais, entre nous, de quoi Nicolas Sarkozy se mêle-t-il ? Et puis, surtout, est-il seulement conscient que l’espérance religieuse a, durant des siècles et des siècles, fourni aux pauvres humains le plus sûr moyen de se résigner à leur malheur en ce monde ?

Les jeunes prêtres de l’Elysée, qui ont lu Saint Augustin, savent tout cela et distinguent, eux, entre la cité de Dieu et la cité terrestre. Ils ont dû se dire, sous cape, que, décidément, les voix de l’inculture étaient impénétrables.

Marc Riglet

9 janvier 2012


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