13 juin 2015
"Une fonctionnaire pourra servir le public couverte d’un tchador, un policier être coiffé d’un turban et un juge se présenter en cour avec sa kippa, en vertu du projet de loi 62 déposé mercredi par la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée.
Québec renonce donc officiellement à interdire le port de signes religieux, même pour les personnes en position d’autorité ayant un pouvoir contraignant, comme les juges, les gardiens de prison, les policiers et les agents de la paix.
En ce sens, le gouvernement Couillard tourne le dos au rapport Bouchard-Taylor.
Seule restriction : les services publics devront être fournis et reçus à visage découvert, pour des raisons de sécurité et de communication.
En clair, cela exclut la possibilité pour les employées de l’État de porter la burqa (voile intégral qui recouvre tout le corps) ou le niqab (voile intégral qui recouvre tout le corps, comportant une fente pour les yeux).
Mais le tchador (voile intégral qui laisse voir l’ovale du visage) pourra être porté par une fonctionnaire, une éducatrice en garderie, une enseignante, voire une ministre, en toute légalité.
Couillard dit finalement oui au tchador
Dans l’opposition, le premier ministre Philippe Couillard s’était pourtant engagé, le 21 janvier 2014, à interdire le tchador dans tout l’appareil de l’État s’il formait le prochain gouvernement.
Il qualifiait alors le tchador de symbole « d’oppression de la femme, et d’exclusion, et de retrait social, qui nous apparaît incompatible avec l’exercice des services publics ».
Le discours libéral a changé depuis. « Ce n’est pas un projet de loi qui légifère sur les vêtements », a dit mercredi la ministre Vallée, en point de presse, pour expliquer la volte-face.
Le tchador, une attaque à l’égalité homme-femme, selon Fatima Houda-Pepin
En entrevue à Radio-Canada, l’ex-députée libérale pourfend le projet de loi. Selon elle, celui-ci n’a rien à voir avec la neutralité religieuse. « Le projet de loi dit que les services doivent être donnés à visage découvert pour des raisons de communications et de sécurité. Je veux qu’on me dise c’est quoi le lien avec la religion, puisqu’on parle de neutralité religieuse de l’État. C’est une aberration ! Là on chapeaute un projet de loi avec une petite introduction sur la neutralité religieuse pour nous faire accroire que c’est un projet de loi sur le sujet, ce qui n’est pas. »
Fatima Houda-Pepin en veut aussi au gouvernement de permettre le port du tchador, qu’elle considère comme une attaque à l’égalité homme-femme. Ce sont d’ailleurs les propos de son ancien collègue Marc Tanguay, qui se disait prêt à travailler avec une députée portant le tchador, qui l’avaient fait sortir de ses gonds. Elle s’était distancée de la position de son parti sur la question des signes religieux, avait de quitter le caucus libéral.
Elle estime que tous les employés de l’État en position d’autorité (juges, procureurs, policiers, etc.) devraient être soumis à une neutralité au niveau de leur tenue vestimentaire.
Les accommodements étudiés à la pièce
Le projet de loi 62 vise essentiellement à proclamer la neutralité religieuse de l’État, tout en encadrant les demandes d’accommodement religieux grâce à certaines balises destinées à guider les dirigeants d’organismes gouvernementaux.
Un accommodement religieux pourra être consenti s’il respecte les critères suivants : ne pas présenter de contrainte « excessive », ni de coûts exorbitants pour l’organisme visé, et se conformer au principe d’égalité entre hommes et femmes et à celui de la neutralité religieuse de l’État.
La loi prévoit que le demandeur devra participer à « la recherche d’une solution qui satisfait au caractère raisonnable » de l’accommodement souhaité, mais n’indique pas de quelle façon.
Chaque demande devra être traitée au cas par cas par l’organisme gouvernemental visé.
« Chaque dossier est un cas d’espèce », selon la ministre.
Neutralité oui, laïcité non
Ce projet de loi constitue en fait la réponse du gouvernement libéral à la controversée Charte des valeurs de l’ancien gouvernement péquiste, qui entendait interdire aux employés de l’État de porter des signes religieux, si elle avait été adoptée [1].
L’ex-gouvernement péquiste voulait aussi afficher la « laïcité » de l’État, alors que le gouvernement libéral parle plutôt, plus modestement, de « neutralité » religieuse, s’engageant à ne pas favoriser ou défavoriser qui que ce soit en fonction de ses convictions religieuses.
L’État dirigé par le gouvernement Couillard ne sera donc pas un État laïque.
Le patrimoine religieux du Québec est exclu du champ d’application de la loi, le crucifix du Salon bleu n’est donc pas menacé.
Une fois adoptée, la loi s’appliquera aux secteurs public et parapublic, y compris les garderies subventionnées. De plus, la directive adoptée en 2010 sur l’interdiction de l’apprentissage religieux dans les garderies aura désormais force de loi.
L’opposition déçue
L’opposition péquiste s’est montrée déçue de constater que « la laïcité de l’État n’était inscrite nulle part » dans le projet de loi 62, a commenté en point de presse la députée de Taschereau, Agnès Maltais.
Sur la question du port de signes religieux, elle a dénoncé le choix du gouvernement de ne pas intervenir, autorisant même le tchador.
Elle rappelle au gouvernement que, quoi qu’il en dise, « le vêtement est un signe d’appartenance religieuse ».
Une fonctionnaire « ne peut pas afficher son opinion politique, mais elle pourrait porter le tchador », a illustré Mme Maltais, étonnée par ailleurs que les municipalités ne soient pas assujetties à cette loi.
Le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault, s’est montré surpris de voir le gouvernement renoncer à interdire les signes religieux pour les personnes en position d’autorité ayant un pouvoir contraignant, comme le recommandaient dans leur rapport Gérard Bouchard et Charles Taylor, au terme des travaux de leur commission.
« M. Couillard est prêt à ce qu’un policier ait un turban, une kippa, qu’une policière ait un voile. Je ne comprends pas pourquoi M. Couillard est aussi frileux de défendre les valeurs québécoises », a-t-il commenté en point de presse.
Cet avis est partagé par la porte-parole de Québec solidaire, Françoise David, qui estime elle aussi qu’il n’y avait aucune raison, par ailleurs, d’exclure les municipalités du champ d’application de la loi."
Comité Laïcité République
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