par Thierry Martin. 20 décembre 2023
[Les échos "Culture" sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Le professionnel, de Georges Lautner, Michel Audiard, 1 h 45, avec Jean-Paul Belmondo, Jean Desailly, Robert Hossein... Sortie le 21 oct. 1981.
Il était une fois le temps béni des Français.
Le 31 décembre 1981, Émilien, fâché avec son père, n’est pas allé au cinéma avec ses deux parents voir Belmondo dans Le Professionnel.
Mais depuis il l’a vu dix fois à la télé.
Le problème c’est que – spoiler alert – le socialiste Mitterrand a pris le pouvoir six mois avant et qu’il a installé des ministres communistes au gouvernement. Belmondo meurt à la fin. Coïncidence ? Plus porté à l’époque sur Godard que sur Georges Lautner, je rappelle à Émilien que Belmondo était déjà mort dans À bout de souffle sous De Gaulle.
Ce 19 décembre 2023, je découvre le film sur C8 et reconnais Chi Mai, la fameuse musique d’Ennio Morricone, qui fut choisie par Jean-Paul Belmondo en personne qui l’a découverte à l’époque au hasard d’une écoute radiophonique. Air que je connaissais parce que devenu célèbre par le film et repris depuis par une pub. L’un des rares films de Belmondo que je n’avais pas vu.
Pendant le film à la télé, l’ami Émilien m’envoie une vidéo de la cérémonie d’hommage à Bébel aux Invalides avec Chi Mai en bande-son. J’ai assisté aux obsèques du grand acteur à Saint-Germain-des-Prés, mais pas aux Invalides. J’étais aussi présent aux obsèques de Jean d’Ormesson, qui échappa de justesse à une mort sous la présidence de François Hollande dont il redoutait l’éloge funèbre. Il devait rêver d’un Bossuet, il eut Macron. J’ai moi-même écrit un papier en ce triste début septembre 2021 sur sa suggestion, je veux dire sur celle de mon ami.
Quel angle choisir ? Quand je lui ai envoyé le titre, "Belmondo, c’était la France", il m’a répondu que mon papier était fait.
Première partie du film.
Co-évadé africain blessé par balle : Je vais mourir ?
Joss Beaumont : Oui. T’as peur ?
Non. Pourquoi ?
Parce que moi j’aurais peur.
Parce que toi, tu irais en enfer ?
Beaumont désavoué laisse entendre, deux ans après, qu’il veut accomplir sa mission, c’est-à-dire tuer le dictateur africain.
À Paris.
L’instructeur Picard : Si y a pas d’friture sur la ligne, j’veux dire, si les flics ne sont là pas pour l’arrêter, alors BAOUUM plus d’négro !
Le Colonel Martin : Bon, très bien Picard.
L’instructeur Picard : Attendez j’ai pas fini.
Le ministre : Ça ira comme ça.
L’instructeur Picard : Messieurs, tout c’que j’peux vous dire c’est que si plus d’négros, alors BAOUUUM plus d’ministre !! Tout l’monde saute.
Mais le projet est loin de passionner Michel Audiard qui travaille en parallèle sur une toute autre adaptation : celle de Garde à vue avec Michel Serrault et Lino Ventura, que nous avions vu après Noël avec Nathalie. Un projet dans lequel il s’est lancé avant Le Professionnel et qui est loin d’être facile. Par conséquent son premier scénario ne plaît ni à Bebel, ni au réalisateur et ni aux producteurs.
Pour écrire une bonne histoire il faut qu’elle soit vérifiée par la vie, disait Truffaut. Il a fait tourner Belmondo dans La Sirène du Mississipi. Loin de ses rôles de héros téméraires et charismatiques, parfois lisses et charmeurs, il incarne Louis Mahé, amoureux transi, naïf et prêt à tout pour sa dulcinée, « Je vous présente ma femme. » « Vous connaissez ma femme ? » répète-t-il devant le miroir. Même si cette dernière se révèle être une effroyable mante religieuse. Victime consentante, Louis attendrit autant qu’il semble mériter son destin. Sa performance est soulignée par celle de Catherine Deneuve, beauté froide et insaisissable qui tire les ficelles et fait de son époux un véritable pantin. « Regarde Marion la grise, ce serait formidable… » Ils quittent le concessionnaire avec la voiture rouge.
Il y a trois jolies femmes dans Le Professionnel. Élisabeth Margoni : Jeanne, la femme de Joss au charme discret. Cyrielle Clair : Alice Ancelin, la maitresse de Joss. Marie-Christine Descouard : Doris Frederiksen, la prostituée, au look sexy et classe d’escort girl comme on dit maintenant. « Qu’est-ce que j’fais moi, si vous me butez la moitié de mes michetons et que vous me mettez l’autre au placard, j’vais me retrouver à poil moi !!… Enfin c’est une image ! » fait-elle mine de se plaindre ; même si cette réplique sent l’auteur plus que le personnage.
Elle se promène à moitié nue dans le film.
Mais c’est Jeanne, l’épouse de Joss, qui se retrouvera toute nue devant le commissaire Rosen – Robert Hossein, jamais aussi bon que dans le rôle du méchant – agressée par le sergent Gruber - Dany Kogan - qui l’entraîne dans un combat saphique jusque dans le jacuzzi.
Cyrielle Clair garde encore en mémoire sa toute première rencontre avec Bébel. « Je venais pour le rôle qui m’avait été proposé, mais il ne me plaisait que moyennement. Tout d’un coup arrive Jean-Paul Belmondo. Il salue tout le monde et en m’apercevant il s’exclame "Ah, Alice !" le nom de l’autre personnage féminin. Cela a été génial pour moi, car ce n’était pas celui pour lequel j’étais venu, mais celui que je voulais. »
Plan B : les producteurs font appel à un consultant pour prêter main forte à Michel Audiard. Francis Veber, excusez du peu. Mais cette mise sous tutelle déplaît au principal intéressé. Michel Audiard se désengage encore plus. Il "délègue" à tout va. Georges Lautner retouche le scénario et les dialogues, aidé par Jacques Audiard qui fait ainsi ses débuts de scénariste. Les deux hommes, en collaboration avec Francis Veber, s’attaquent chaque jour au scénario pour le retravailler.
Modifications validées ou retouchées chaque soir par Michel Audiard qui propose même de se retirer du générique pour mettre à la place son fils, Jacques, tandis que Francis Veber n’est pas mentionné.
Malgré ou grâce à cette méthode de travail, courante aux Etats-Unis, le film cartonne. Plus grand succès commercial de Lautner. Plus de 5.2 millions de Français (comme on disait à l’époque) dans les salles obscures.
Resterons Joss Beaumont au président africain Njala - Pierre Saintons -, lui reprochant sa naïveté : « Tu vois, même "Malin comme un singe", ça veut plus rien dire. »
Et bien sûr : « Et un couscous poulet, un ! » Scène et réplique irracontable aujourd’hui. Si vous ne comprenez pas, c’est que vous n’avez pas encore vu le film.
Le 31 décembre 1981, Emilien avec ses parents juste réconciliés faisait de la résistance. Quand son père a choisi Le Professionnel, Emilien a emmené sa mère voir un nanar avec Terence Hill.
« A minuit dans la rue tout le monde s’embrassait, "Bonne année !" Sauf nous », m’a-t-il dit.
De mon côté, aîné de mon ami Emilien, je passais le premier réveillon avec ma petite amie et découvrais le bonheur de la monogamie. Finis les bals de la Saint Sylvestre et les embrassades du nouvel an, ces baisers à la commissure des lèvres, sur la bouche des filles maquillées et parfumées, et plus si affinité.
Les parents d’Émilien se sont rabibochés et ont fini leur vie ensemble, jusqu’à mourir la même année. Moi, j’ai perdu Nathalie. L’époque a changé.
Thierry Martin
auteur notamment de
BoJo, un punk au 10 Downing Street,
Amazon, 2022, 312 p., 14,98 €.
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales