Revue de presse

"Le phénomène des oracles" (L’Express, 10 août 23)

(L’Express, 10 août 23) 16 août 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"De plus en plus de maisons d’édition font la part belle aux cartes de divination, qui s’arrachent en librairie, notamment chez les jeunes, car plus accessibles que les tarots.

Par Antoine Beau

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Lire "En librairie et sur TikTok, le phénomène des oracles".

Des petits, des grands, des violacés, des irisants. Des "nature", des "queer", des "féminins sacrés". Dans la vitrine de la librairie ésotérique Bussière, et un peu partout dans ces quelques dizaines de mètres carrés en bazar nichés au cœur du quartier latin dans le Ve arrondissement parisien, on ne voit qu’eux. "Des oracles, tout le monde en veut, de nos jours", maugrée la guide des lieux, Anne-Laure Le Lidec, présidente des éditions adossées au magasin, en arrangeant ses derniers numéros. Du haut de ses étagères, la spécialiste a vu l’engouement pour ces ouvrages exploser. Depuis le Covid-19, les ventes liées à l’ésotérisme dans l’édition ont bondi : + 32,8 % en 2021 selon le Syndicat national de l’édition. Un succès, porté principalement par ces petites cartes que certains tirent pour prendre le pouls du futur, de leur destin ou de leur matinée. Les oracles ont même participé à rajeunir la clientèle ésotérique principale, aujourd’hui les 25-30 ans, selon les chiffres de l’édition.

Entre deux grands livres aux symboles mystiques, Anne-Laure Le Lidec pointe la collection Haziel, qui abrite des classiques de l’ésotérisme. Des ouvrages austères aux couvertures sans images. Puis elle montre un oracle en vogue, plein de couleurs et de personnages féeriques : "Avant, la magie était sérieuse, intimidante, mais le public est maintenant attiré par le ludique et les beaux visuels. Il faut que ça flashe", résume-t-elle.

A ce jeu, les productions d’Isabelle Cerf, suivie par plus de 200 000 personnes sur Instagram, sont les meilleures. Chaque oracle de l’auteure, médium "de naissance" et chroniqueuse dans Le mag qui fait du bien sur C8, s’arrache. Son meilleur score jusqu’à présent : L’Oracle de la voix des âmes, censé "développer la médiumnité et l’intuition". 78 000 exemplaires se sont écoulés depuis 2021, selon Edistat.

De la librairie à TikTok, et inversement

Ce coffret-là, aux illustrations logotypées, ne figure pas chez les Bussière. Isabelle Cerf a préféré Guy Trédaniel, l’autre acteur historique de l’ésotérisme. Au départ, les deux maisons se tiraient la bourre dans leur coin. Mais depuis quelques années, des grandes maisons généralistes comme Albin Michel (Le Duc) ou Hachette (Le Lotus et L’Eléphant) n’hésitent plus à signer les auteurs qui, comme Virginie Despentes, voudraient décliner leurs textes. De quoi rebattre les cartes du marché.

C’est le cas d’Eyrolles, connu pour ses manuels de physique ou d’informatique, tout ce qu’il y a de plus rationnel. La librairie de cette maison d’édition généraliste, à deux pas de celle de Bussière, est une des plus grandes de Paris. "Quand je suis arrivée, quelques oracles patientaient sous les étals dans un coin, désormais nous avons un rayon entier", se félicite Joanne Mirailles, responsable Bien-être de l’entreprise depuis 2019. Parfois, elle tire une carte pour se redonner le sourire : "Eyrolles ne commercialise pas d’oracles négatifs", rassure la responsable. D’autres le font.

Jusqu’où la mode pourrait-elle aller ? "On n’a pas arrêté de vendre depuis le Covid-19, mais j’ai l’impression que le phénomène s’essouffle. Tout le monde a peut-être déjà ses cartes", plaisante une vendeuse. Sur TikTok, le hashtag "Cartomancie", qui regroupe aussi d’autres arts divinatoires comme le tarot, jeu beaucoup plus normé et complexe que les oracles, cumule 1,8 milliard de vues. Preuve que le soufflé n’est pas retombé. Sur les très courtes vidéos de la plateforme, des jeunes, des enfants même, se filment mimant l’humeur qu’ils ont tirée, prêtant parfois une autorité aux prévisions qui en découlent. En envoyant leurs oracles aux influenceurs, à l’époque où les magazines boudaient ces contenus, les éditeurs ont participé à cette viralité.

Une stratégie payante : elle permet d’attirer et de renouveler un public de plus en plus friand de "mieux être" et de "spirituel". Quitte à l’éloigner de la science, alors que certains adolescents flambent tout leur pass Culture dans ces objets ? "L’orthorexie, c’est-à-dire consommer qu’un seul type de produit, n’est pas réservé à la divination", plaide Joannes Mirailles. "Si mes clients me demandent des produits ésotériques pour un cancer, je les envoie chez le médecin", assure Anne-Laure Le Lidec."


Voir aussi dans la Revue de presse tout le dossier L’Express "L’inquiétant essor de l’ésotérisme" (10 août 23), les rubriques Complotisme, Sectes, Littérature (note de la rédaction CLR).


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