Association des Libres Penseurs de France

"Le néo-cléricalisme peut-il fonder la démocratie ?" (Eddy Khaldi, ADLPF, 25 av. 15)

25 avril 2015

"La France est une République laïque, elle respecte toutes les convictions et croyances. Et cependant, au regard du principe de séparation des Églises et de l’État, la République doit-elle, avec l’argent public, financer les lieux privés de culte, s’impliquer dans la formation d’imams et "développer les établissements scolaires privés sous contrat" au risque d’alimenter, elle-même, la ségrégation sociale et idéologique ? [1] « Dans aucun des actes de la vie civile, politique ou sociale, la démocratie ne fait intervenir, légalement, la question religieuse. Elle respecte, elle assure l’entière et nécessaire liberté de toutes les consciences, de toutes les croyances, de tous les cultes, mais elle ne fait d’aucun dogme la règle et le fondement de la vie sociale » [2] déclarait le 30 juillet 1904 Jean Jaurès. Une politique néo-cléricale ne peut tenir lieu de projet social.

Le paradoxe de l’actuelle situation réside dans le fait que nos pouvoirs publics transgressent la loi de séparation [3]. Cette politique paradoxale est vigoureusement contestée, en ces termes, par un intellectuel musulman : « Celui qui veut moderniser d’abord les religions ou les rationaliser avant de les intégrer dans l’espace laïque de la France ne connaît pas l’histoire de la République française ni les circonstances réelles de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. L’Etat s’est séparé définitivement des religions parce qu’il a jugé qu’elles n’étaient ni modernes ni rationnelles ou, du moins, il a voulu marquer sa très grande réserve quant à leur enseignement. Chercher des compatibilités entre cette laïcité juridique et l’islam est absurde. Est-il logique que nous demandions à une religion de se moderniser lorsque l’objectif est de nous séparer d’elle ? De plus, cette laïcité fait partie de la loi et la loi ne se négocie pas, elle s’exécute » [4].

Le rôle de l’État est d’assurer la sécurité et la liberté de culte et non de l’organiser. L’Islam en France doit rester l’affaire des musulmans. Ce n’est pas exclusivement la « liberté religieuse » que la laïcité garantit mais d’abord la liberté de conscience, laquelle permet le droit de choisir sa religion, n’en pas avoir ou d’en changer. Voire de militer contre toute religion.

Après le débat sur « l’identité nationale » lancé par le précédent président de la République, c’est l’illustration de la confusion et la stratégie de ceux qui enferment toute une partie de la population issue de l’immigration dans une appartenance présupposée à l’Islam, imposée comme marqueur identitaire. On assiste à une partition de la sphère publique éclatée en appartenances religieuses par ce marquage ostentatoire imposé. « Hérité de l’histoire, le modèle alsacien-mosellan », élargi à l’islam, « intéresse Paris », laisse par ailleurs entendre la presse [5].

Pourquoi taire que ces jeunes sont français, pour la plupart ? Ce ne sont pas des droits différents qu’ils revendiquent mais l’égalité, en actes, des droits sociaux et civiques. "Laïcité de l’enseignement, progrès social, ce sont deux formules indivisibles. Nous lutterons pour les deux" [6].

Dans cette politique construite sous la pression des religions, l’émergence de la question de l’Islam conduit à la tentation de consentir des assouplissements sous formes d’ « accommodements raisonnables » remettant en cause, la teneur et l’esprit de nos principes constitutionnels et, notamment, la loi du 9 décembre 1905. Les religions plus anciennement établies en France sont en perte de vitesse et n’attendent que ces concessions faites à l’Islam pour entériner ou réformer leur rapport à l’Etat laïque, dans une reconnaissance institutionnelle qui préfigure un remariage.

N’est-ce pas, là, l’occasion inespérée, pour eux, de revenir à la situation antérieure à la loi de séparation des églises et de l’Etat pour convier l’islam à ces épousailles entre politique et religion ? Une telle idée conduirait à rétablir un ordre social ancien élaboré autour de quelques "cultes reconnus" où le citoyen serait assigné à résidence dans « son » origine, et affecté implicitement à une religion pour lui être soumis. En quelque sorte, un retour à l’ordre moral tel que l’entendait Adolphe Thiers pour qui un curé valait cinquante gendarmes.

Derrière cette tentation, la discrétion des autres églises, et la catholique en particulier, peut trouver à s’expliquer par les profits escomptés dans les transgressions qui conduiront à de nouvelles concessions au communautarisme. Ces revendications sont, d’ores et déjà exprimées :« C’est très bien de vouloir rassembler les religions, mais à condition de faire droit à ce qu’elles représentent réellement » [7] Les responsables catholiques n’acceptent pas de passer par la voie des formes républicaines pour se faire entendre. Où sont donc la séparation et la neutralité de l’Etat ? Peut-on entendre par l’expression : « ce qu’elles représentent réellement », la fin de la non reconnaissance institutionnelle des religions et de la neutralité de la puissance publique ?

Il ne s’agit en aucun cas de nier les identités mais de revendiquer d’abord la liberté de conscience donc la liberté religieuse qu’elle implique. S’impose la nécessité de construire une culture publique et civique laïque, seule capable d’accueillir toutes les diversités.

On pouvait penser que les tragiques événements de ce début d’année 2015 allaient conduire à clarifier l’amalgame entre politique et religion. Il en va tout autrement. C’est le principe de laïcité, déjà dévoyé et contourné, qui est remis en cause dans ses fondements institutionnels. « Faut-il vraiment repenser la laïcité ? » interroge Le Bien Public de Côte d’Or, le 4 mars. Souvenons-nous de cet appel œcuménique du Cardinal Vilnet en 1987 : « L’heure semblerait venue de travailler avec d’autres, à redéfinir le cadre institutionnel de la laïcité », appel aussitôt repris à l’unisson par ses collègues cardinaux « entre l’Église et l’État », spécifiant qu’ « on ne peut plus parler de séparation, mais de collaboration », affirmation portée en I988 par Decourtray aussitôt suivi par son confrère Lustiger : « Si l’État ne faisait pas l’effort de redéfinir les conditions de la séparation, dans l’état actuel des mœurs et de la société, il porterait gravement atteinte à un droit imprescriptible, au patrimoine spirituel qui est un bien de la nation. »

Certains s’emploient, aujourd’hui, à dénaturer la laïcité. Ainsi, l’opinion donne-t-elle à ne plus la percevoir qu’au travers de l’émergence de l’Islam, perception qui favorise l’impact du Front National et qui contribue à renforcer l’idée d’une laïcité discriminatoire.

La laïcité n’est en rien discrimination. On doit solder cette équivoque. Pour cela il convient de conjuguer de manière indissociable : laïcité, liberté, égalité et fraternité. C’est là que réside le défi pour les valeurs de la République.

La laïcité, fondement de la liberté individuelle, constitue le ciment d’une société qui doit permettre, par l’éducation, l’accès de chacune et chacun à la liberté de conscience. Laïcité seule capable d’intégrer les différences et de construire l’indispensable vivre ensemble dans la l’égalité des droits et la fraternité.

Eddy Khaldi"

Lire "Le néo-cléricalisme peut-il fonder la démocratie ?".

[1Rapport sur la « Cohésion républicaine », que le Parti socialiste a présenté le 1er février : la création d’une instance de dialogue avec les représentants de l’islam de France ; le renforcement de la formation, en France, des imams et des aumôniers musulmans ; le développement de l’enseignement privé confessionnel musulman ; l’incitation à l’édification de nouveaux lieux de culte.

[2Jean Jaurès, L’Éducation Laïque, Discours de Castres, 30 juillet 1904.

[4Ghaleb Bencheikh est président de la Conférence mondiale pour la paix. Il est l’auteur de La Laïcité au regard du Coran, éd. Presses de Renaissance, 2005, et de Le Coran, éd. Eyrolles, 2010.

[5Le Figaro, 3 mars 2015.

[6Jean Jaurès, Pour la laïque, Discours 25 janvier 1910.

[7Cardinal André Vingt-Trois dans La Croix, 3 mars 2015.


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