Jacqueline Costa-Lascoux, juriste et sociologue, directrice de recherche honoraire au CNRS. 15 janvier 2022
[Les échos des initiatives proches sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"[...] Le concept d’intersectionnalité remonte à un article de 1989 de Kimberley Crenshaw, juriste à l’UCLA et à Columbia University, qui proposait une approche critique de la lutte contre les discriminations. Elle entendait montrer en quoi les femmes noires sont au moins deux fois victimes (en tant que noires, et en tant que femmes), et peinent à faire reconnaître par la justice les multiples discriminations à l’emploi qu’elles subissent. Certes, mais dire que les chercheurs et les militants français ont été réticents à cette approche, parce qu’aveugles au racisme, est scandaleusement faux. Non seulement le cumul des discriminations a été étudié dès les années 1970 et la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 y a maintes fois fait allusion, mais – et c’est cela qui offusquait les collègues d’Outre-Atlantique – la réflexion englobait à la fois la nature polysémique des logiques discriminatoires et la fréquence de l’inversion des rôles dans des situations de discrimination ou de racisme : tel individu ou tel groupe peut être à la fois victime et auteur de discriminations. C’est ce point aveugle de l’intersectionnalité vantée par les tenants de « la convergence des luttes » qui signe le caractère réducteur et caricatural de cette « théorie ». On assiste à une sorte de redistribution des rôles entre les bons et les méchants, les noirs et les blancs… En vérité, derrière des mots faisant écran à l’analyse des logiques de situation, se révèle une vision racialiste et sexiste.
L’idéologie woke (éveil) instaure un travail de « déconstruction » et de fragmentation sociale, qui entraîne l’exclusion de l’Autre, le licenciement du contradicteur, la peur de prononcer certains mots tabous, la haine de celui qui n’entre pas dans les cases de la bien-pensance : statues déboulonnées, censure ou interdiction de films, de pièces de théâtre, autodafés de livres, atteintes à la liberté d’expression, refus d’embauches ou mises à pied d’enseignants et d’artistes dont les points de vue ou la simple présence, la couleur de peau ou l’origine seraient considérés comme « blessants » ! On se croirait revenu au temps de la National Legion of Decency, groupe de pression créé aux États-Unis, en 1933, pour « purifier les productions cinématographiques qui exerçaient une mauvaise influence ». L’incapacité à réfléchir hors d’un dogme8 rend tout débat forclos. [...]"
Voir aussi dans les Initiatives proches le dossier Le Droit de vivre (Licra), hiver 2021-22 dans Licra (note du CLR).
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