Edito

La République s’est absentée de l’Elysée (8 sep. 10)

Par Gilbert Abergel, vice-président du Comité Laïcité République 8 septembre 2010

La République s’est absentée de l’Elysée. Les menaces de déchéance de la nationalité française, la volonté d’en découdre avec la figure de l’étranger incarnée par les gens du voyage signe l’inculture mémorielle d’un homme qui ne rechigne pas à tuer l’Histoire pour sauvegarder des intérêts politiciens.

Les milliers de victimes du nazisme au nom de l’appartenance à la communauté tzigane, l’impensable aboutissement de ce rejet de l’Autre que nous a offert le siècle dernier ne réussissent pas à prémunir l’occupant de l’Elysée contre cette tentation diabolique. On ne joue pas avec les haines rentrées. Cela peut mener loin. Notre Histoire l’a démontré.

Nul ne contestera le bien fondé de la lutte contre la criminalité et de la protection des représentants de la République. Le droit à la sécurité est un droit imprescriptible pour chaque citoyen, et chaque pouvoir se doit de mettre en œuvre une politique garantissant le respect, par tous, de la loi.

Désigner, implicitement, une catégorie de citoyens, à ce point plus suspecte que les autres qu’il faille lui appliquer des sanctions adaptées à ses origines est un déni de justice, une négation de la tradition républicaine. Le ciblage ethnique d’une politique de sécurité peut s’apparenter à du racisme d’Etat.

Comment peut-on accepter qu’au sein de la communauté nationale, une distinction soit faite entre les citoyens selon la date d’acquisition de la nationalité française ? Le délai choisi par le président et son ministre correspondrait-il au temps nécessaire à l’acquisition d’une nouvelle forme de « pureté » qui éloignerait la tentation de la délinquance ? Cette distinction entre citoyens français a autrefois abouti au « Vel d’Hiv ».

A-t-on oublié qu’à chaque fois que l’humanité s’est laissée allée à la tentation de la classification des origines, cela a abouti au concept de sous-homme ?

Un regard attentif sur notre histoire nous montrera que nombreux sont ceux qui ont donné leur vie pour notre République sans pour autant présenter les caractéristiques aujourd’hui exigées pour échapper à ce qui ressemble à un régime autoritaire. Nombreux aussi sont ceux qui, français depuis de nombreuses générations, ont assassiné la République.

Acquérir la nationalité française est un acte important auquel on a raison de donner de la valeur en formulant de légitimes exigences à l’égard de ceux qui la demandent. Un fois acquise, cette identité est définitive.

Le concept de « période d’essai » est inadapté et participerait à la désacralisation de cet acte. Le voyou fraichement naturalisé doit être traité avec la même rigueur que le voyou de souche « gauloise ».

Aussi le gouvernement aurait-il été inspiré d’ouvrir avec le pays une réflexion sur les moyens de concrétiser le principe républicain selon lequel toutes les femmes et tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit plutôt que d’ouvrir une polémique sur l’identité nationale dont on pouvait pressentir les risques de dérives.

Les préoccupations politiciennes dictées par les échéances électorales conduisent trop souvent à l’oubli des principes fondamentaux. Qu’une certaine gauche se taise par peur des conséquences électorales de l’affirmation des ses valeurs fondamentales est tout aussi inquiétant.

Les nombreuses reprises du refrain présidentiel démontrent bien qu’il ne s’agit pas d’un écart de langage, mais bien d’une stratégie qui, désignant un bouc émissaire faisant l’unanimité contre lui, simplifie à l’extrême la question de la sécurité des citoyens. Nous n’avons pas besoin d’être rassurés par une vision simpliste et manichéenne de nos problèmes. Cette posture dégrade l’action politique.

L’effet d’accoutumance au cynisme et à l’insupportable rend inéluctable la tragédie. Peu se sont étonnés d’entendre le ministre de l’Identité nationale expliquer ses propos surprenants par un soit disant souci de respect de la laïcité républicaine. Tant de vergogne donne envie de vomir. Car il l’a dit, ce bon ministre : s’il est amené à déchoir de la nationalité française des délinquants, c’est parce qu’il est profondément attaché à la laïcité de notre République. Et de mélanger la question du voile intégral ou de l’excision à celle des délinquants récidivistes… L’amalgame a toujours servi les causes les moins défendables.

L’instrumentalisation des valeurs républicaines est à son comble. En son nom, on flatte les appartenances, on stigmatise les « origines douteuses », on construit de fausses mémoires. Le débat putréfié sur l’identité nationale n’a pas reçu l’accueil escompté. Qu’importe. D’autres fenêtres de tir leur sont offertes par une actualité si facile à réinterpréter.

La laïcité est indissociable du souci permanent du bien de l’Autre. Elle ne sera jamais un levier pour la haine. Ces laïques dont les convictions resurgissent au gré de leurs intérêts politiques de court terme ne sont que des imposteurs.

Nous attendons de notre élite républicaine qu’elle nous guide. Nous attendons qu’elle nous rende intelligible ce monde et ses soubresauts, qu’elle nous aide à trouver la voie de la paix, la sortie de crise la plus féconde, celle qui donnera de l’espoir à l’humanité.

Nous n’attendons pas qu’elle passe son temps à alimenter nos haines archaïques. Il est si facile pour une humanité en proie au doute de trouver dans la haine de l’Autre la solution de ses peurs. Qu’un pouvoir politique se laisse aller à nourrir les pulsions destructrices de ses concitoyens au risque de tisser le lien social autour de cette haine de l’Autre est révoltant.

Monsieur le Président, permettez à un simple citoyen de vous rappeler que nous n’avons nul besoin de ces chiffons rouges, de ces dramatisations.

Nous aimerions entendre le plus haut magistrat de notre République nous rappeler que face à ce monde complexe, seule la sagesse, la tolérance, l’écoute, la morale doivent orienter nos réponses.

Gilbert Abergel

vice-président du Comité Laïcité République


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