Jean Glavany

"La République et l’Islam" (J. Glavany, 19 août 16)

par Jean Glavany, Député PS des Hautes-Pyrénées, ancien ministre. 19 août 2016

Après la douloureuse série d’attentats qui ont ensanglanté notre pays depuis bientôt deux ans, et dont les auteurs se sont, tous, revendiqués du fanatisme djihadiste, un débat s’est développé dans notre pays sur la place de l’Islam dans la République, débat nourri par un certain nombre de propositions, certaines saugrenues, d’autres plus sérieuses.

Malheureusement, à l’occasion de ce débat, on voit fleurir des expressions bien peu républicaines et, notamment, cette soi-disant « communauté musulmane » que les commentateurs utilisent à toutes les sauces alors que, rappelons le avec insistance, la culture républicaine veut qu’il n’y ait de communauté que nationale. Il n’y a pas de « communauté religieuse » en France quand bien même toutes les religions en revendiquent l’existence !

Mais avant d’aborder ce débat sur le fond et de qualifier ces propositions les plus spectaculaires, je veux dire ici ma perplexité sur la nature de ce débat.

En effet, autant je comprends l’idée selon laquelle il serait difficile d’exonérer une religion de son intégrisme fanatique – dire que les religions n’ont rien à voir avec leur intégrisme, c’est comme dire que le dopage n’a rien à voir avec le cyclisme ou le hooliganisme avec le football, autant il y a comme une contradiction à dire à la fois « cette minorité violente et extrémiste n’a rien à voir avec l’Islam et l’immense majorité des musulmans de France » – ce qui est vrai – et « les agissements de cette minorité nous amènent à poser la question de l’Islam de France, son organisation et son financement ».

Cette contradiction-là me laisse intellectuellement et politiquement mal à l’aise, sauf – et on y viendra plus loin pour essayer de la dépasser – à l’expliciter.

Commençons par fixer le cadre politique et juridique de ce débat qui doit nous permettre de préciser certaines choses quant à la relation non pas d’une religion avec la République mais des religions avec la République. Car il se trouve que cette relation est, avec la laïcité, au cœur de notre pacte républicain.

Une laïcité qui reste le ciment fondamental de notre « vivre ensemble ». Et tous les citoyens lucides voient bien que ces évènements révèlent que notre pays souffre d’un manque de laïcité et non pas de son excès comme semblent le croire telle ou telle autorité religieuse. Mais dans la mesure où, à Droite comme à Gauche aussi, hélas, chacun met la laïcité à sa propre sauce, pour des raisons purement politiciennes et au mépris des textes qui la fondent et en définissent les principes, il est important de rappeler ceux-ci, de les expliciter, de les traduire. C’est le débat sur la loi de 1905, grande et belle loi républicaine dite « de séparation » des églises et de l’Etat.

Que dit cette loi ?

Son article 1 dispose que « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ».

Cela signifie que la laïcité c’est d’abord et avant tout une liberté individuelle fondamentale, la liberté de conscience, qui n’est pas seulement la liberté religieuse ! Car la liberté de conscience, c’est le droit de croire ET de ne pas croire, d’être croyant ou d’être athée ou agnostique, ou même indifférent à ces sujets.

Et, dans cette liberté de conscience, le droit de croire n’est assorti d’aucune restriction autre que l’ordre public. En particulier, la République n’édicte aucune liste limitative des croyances.

Donc être musulman, en France, cela va sans dire mais ça va mieux en le disant, est parfaitement compatible avec la République, au titre de la liberté de conscience.

Son article 2 lui, dispose – pour commencer et pour l’essentiel – « la République ne reconnait, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte »…

Cela signifie d’abord que la République ne procède à aucune « reconnaissance » de quelque culte que ce soit, qu’elle n’a pas à « certifier » ou à « labelliser » : elle n’accorde aucun statut aux cultes. Cela ne veut pas dire « les ignorer », cela signifie respecter leur existence et les laisser vivre. L’Islam de France n’a donc nul besoin d’une « reconnaissance publique » pour exister. Cela signifie aussi que la République n’accorde pas de financements publics aux cultes « Ne salarie ni ne subventionne »…

Pour être précis, cette règle souffre de deux exceptions : pour l’investissement, et pour l’investissement seulement, les communes peuvent financer l’entretien des lieux de cultes existant en 1905 dont elles sont propriétaires et qui sont souvent classés comme monuments historiques. Oui, les communes financent les églises catholiques dont elles sont propriétaires parce que c’est l’histoire de France qui veut cela. Le « long chapelet » d’églises au cœur de tous nos villages traduit ce que certains appellent « les racines chrétiennes » de la France, réalité historique incontestable mais qu’il n’est nul besoin de constitutionnaliser ou d’ériger en dogme, surtout si c’est pour mieux diviser et exclure.

La deuxième exception, précisée par la loi de 1905, concerne les « publics captifs » dans des établissements publics (au premier chef les prisons et les hôpitaux) où l’Etat peut – et doit – financer des « aumôneries » pour tous les cultes. C’est un sujet dont on ne parle pas assez mais vu l’influence intégriste dans nos prisons, les responsables politiques sont placés face à une tâche urgente pour mieux contrôler, et mieux sélectionner les prédicateurs qui y sévissent. C’est un enjeu majeur.

Donc l’Islam de France n’a pas à être financé par l’Etat ou les collectivités locales, sauf à bouleverser de fond en comble l’équilibre républicain de séparation des églises et de l’Etat. Faut-il revoir cet équilibre ? J’entends que beaucoup le proposent, à Droite mais aussi, hélas, à Gauche, rêvant de je ne sais quel « concordat », s’appuyant là sur la pratique Napoléonienne au début du 19ème siècle, ici sur la délicate et, à certains égards, inacceptable exception d’Alsace-Moselle… Je voudrais les en conjurer : « Laissez ça ! Ne touchez pas à cet équilibre !! N’ouvrez pas la boite de Pandore !!! Votre bonne foi et votre bonne volonté sont sans doute très respectables mais vous ne semblez pas connaître la longue liste de revendications préparées de longue date par les cultes, tous les cultes, pour revenir sur cette loi », y compris par le culte protestant qui fut pourtant le plus « laïque » au moment de l’élaboration de la loi de 1905.

Non seulement ouvrir ce chantier serait mortifère mais en outre et surtout, ça n’est nullement nécessaire !

On nous raconte qu’il serait impossible de construire une mosquée en France mais cette affirmation ne résiste à aucun examen sérieux : on en a construit des centaines dans notre pays ces 10 dernières années et nombreuses sont celles qui sont, aujourd’hui, en chantier. « L’Islam des caves » dont on parlait à juste titre il y a encore 10 ans a désormais quasiment disparu dans notre pays et c’est heureux. Tous ceux qui sont un peu de bonne foi savent très bien que l’obstacle principal à ces constructions n’est pas financier mais politique : trop d’élus, qui font la course à l’échalote derrière les idées du Front National, s’opposent par tous les moyens à ces constructions pour des raisons purement politiciennes et font, de fait, le jeu des fanatiques qui veulent spéculer sur le sentiment de frustration des musulmans de France.

Pour autant, faudrait-il ne rien changer ?

Ça n’est pas ma proposition : les moments que nous traversons sont trop tendus et trop douloureux pour ne pas bouger. Mais bouger pour bouger n’est pas une fin en soi, il faut bouger en donnant du sens. Et ce sens nous est, me semble-t-il désigné par les termes-mêmes de la loi de 1905. Revenons à son article 1 que je citais plus haut : « La République… garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions éditées…dans l’intérêt de l’ordre public. »

Tout est contenu dans ce très subtil balancier voulu par les Républicains du début du 20ème siècle et qui est d’une brûlante actualité. Car ça n’est pas seulement « l’ordre public » qui s’impose aujourd’hui c’est, tout simplement, la paix publique dans la mesure où nous sommes en guerre, le mot a été prononcé et il n’est pas si malvenu, avec le djihad.

Et il est clair que la République, dans ses fondements culturels, politiques et sociétaux ne pourra pas éternellement « garantir le libre exercice » d’un culte si celui-ci n’est pas, parallèlement, clairement et fermement engagé dans cette guerre à ses côtés.

Il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas saisir ce que les moments tragiques que notre pays traverse révèlent des fractures de la société française et de risques majeurs que cela nous promet : le xénophobie rôde… Le culte musulman doit aider la République à conjurer ces risques. Reconnaissons que, disant cela, on exigera d’un culte ce qu’aucun autre culte n’a jamais fait dans l’histoire : combattre ouvertement son intégrisme… Mais les circonstances exceptionnelles l’imposent.

C’est tout l’enjeu de ce débat et, à mon sens, c’est le seul : quel pacte la République et l’Islam de France peuvent-ils passer pour que la garantie du libre-exercice du culte se fasse en échange d’une participation active à l’élimination de l’intégrisme djihadiste ?

Et c’est tout le sens de la laïcité qui n’est pas, comme le croient certains à Gauche que l’expression des droits ou, comme le croient certains à Droite, que l’addition de devoirs : la République laïque est un équilibre de droits et de devoirs. Le droit des différences et le devoir de construire le commun. Aujourd’hui, la priorité dans la construction de notre « commun », c’est la protection et la sécurité des concitoyens.

Si l’on pose clairement et publiquement la question de ce pacte dans ces termes, alors, tout le reste découle de source ou presque…

« Interdire les financements étrangers » ? Ils sont bien interdits pour nos campagnes présidentielles, pourquoi continuerait-on à les accepter en temps de guerre s’ils risquent d’alimenter les fanatiques ?

« Activer la fondation créée par le gouvernement Villepin il y a plus de 10 ans » (et qui n’a jamais marché, pas plus que le Conseil Français du Culte Musulman à la mode Sarkozy) ? Une telle Fondation est une fondation de droit privé, prévue par la loi de 1901 sur les associations et non remise en cause par la loi de 1905. Mais, comme toutes les Fondations, elle fait l’objet d’un contrôle par l’Etat qui dispose d’un poste d’observateur à son conseil. Ses financements privés et non publics, j’y insiste, sont parfaitement légaux.

Sait-on qu’une des Fondations les plus riches de France est la « Fondation des pieux établissements de Rome » qui gère un patrimoine considérable et dont le Président de droit est…l’ambassadeur de France au Vatican ?!

Comment financer cette Fondation ? Là encore la créativité fiscale de certains de nos penseurs politiques est parfois ahurissante : créer un « impôt » ou une « taxe » sur le hallal ? Mais enfin, un impôt ou une taxe c’est de l’argent public !!

Et, dans la tradition républicaine, le caractère universel de l’impôt ne peut, en aucune manière, être compatible avec cette proposition. Ou alors on ne parle plus de République.

En revanche, une « redevance pour service rendu » d’un privé (la Fondation) à d’autres privés (les consommateurs) n’auraient rien de choquant. Elle serait tout à fait compatible avec la tradition républicaine. Quant aux « services rendus » en matière de certification hallal, ils ne sont pas difficiles à imaginer.

« La formation des imams ? » Il ne saurait question, bien entendu, que la République se mêle de la formation religieuse de ces imams car la séparation des églises n’impose pas seulement aux églises de régenter la politique ; elle interdit aussi aux politiques de s’immiscer dans les affaires religieuses. Mais que la République veille, avec l’aide du culte concerné, à ce que les imams qui prêchent dans notre pays aient une formation de base sur les lois de la République et la réalité laïque de notre pays, quoi de plus normal ? L’Université française, surtout en terres non concordataires, en présente toutes les capacités.

Un dernier mot sur la brûlante actualité, et sur certaines tenues vestimentaires apparues sur nos plages (sans que, pour autant, une vague de « burkini » ne submerge les plages de France !). En d’autres temps, j’aurais presque pu dire « foutez-leur la paix, laissez-les s’habiller comme elles veulent sur les plages »…et j’aurais eu les félicitations de la Commission Consultative des Droits de l’Homme et, peut-être même, de l’Observatoire de la laïcité.

Sauf que…

Sauf que nous sommes en guerre, et qu’en temps de guerre, ces attitudes sont autant de provocations qui affaiblissent doublement la communauté nationale : en alimentant l’audience des partis xénophobes, en accréditant des thèses intégristes qui combattent radicalement l’égalité hommes-femmes.

Et, dans ces conditions, au titre des droits et des devoirs, il me semble aussi qu’un « devoir de discrétion » s’impose puisque cette expression a été employée par Jean-Pierre Chevènement.

Je ne sais pas si celui-ci dirigera bientôt cette Fondation. Il a toutes les qualités et les compétences pour réussir cette mission et pour veiller à ce que, dès que possible, une femme d’abord républicaine et ensuite musulmane, puisse lui succéder."

Lire "La République et l’Islam".



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