Edito

La politique d’immigration ne peut faire l’impasse sur l’intégration républicaine (G. Chevrier, 7 juil. 17)

par Guylain Chevrier, vice-président du Comité laïcité République. 7 juillet 2017

Après l’intervention du président de la République sur les grandes orientations de son projet, et celle du Premier ministre exposant son discours de politique générale, on reste inquiet sur la politique migratoire de la nouvelle majorité. Emmanuel Macron affirme la nécessité de l’accueil, en lançant que « c’est notre honneur », tout en considérant qu’il faut maîtriser les flux migratoires. Evoquant une réforme du droit d’asile en France, il parle de mettre en place un « traitement humain et juste » des demandes des migrants, au nom de mieux accueillir, sans rien signifier de précis. Édouard Philippe de son côté a prévenu « la pression migratoire ne faiblira pas », promettant de « faire aboutir la réforme du régime européen de l’asile », parlant de réduire les délais d’instruction des demandes. « Accueillir, oui bien sûr ; aider, oui évidemment ; subir non jamais » a-il-encore affirmé devant les députés, tout en lançant que « la France a été incapable de remplir ses obligations juridiques et morales. »

Cette tendance à la venue de migrants, dont tout indique qu’elle va continuer de s’amplifier dans la configuration actuelle, pose des exigences qui n’ont pas seulement à voir avec des moyens matériels, mais sur quels principes et valeurs doit être fondé leur parcours d’intégration. La référence à « la réforme du régime européen de l‘asile » peut questionner au regard d’un modèle d’intégration républicain à la française où le principe de laïcité tient une place essentiel, loin du modèle multiculturaliste qui domine en Europe.
La critique concernant les obligations de la France, qui ne se serait pas montrée à la hauteur dans l’accueil, questionne aussi, alors que nous avons pourtant largement accueilli dans le cadre de la répartition des rôles qu’a voulue ici l’UE, avec la multiplication par deux depuis 2010 des demandes d’asile en France, pour dépasser, comme on le pressent au rythme des demandes actuelles, un chiffre de 100.000 en 2017. Ces demandes ont donné lieu à 35% de réponses favorables. On a triplé dans la période le nombre d’admis au séjour. L’acquisition de la nationalité française hors mariages, a progressé entre 2015 et 2016 de 10%. On peut espérer que cette présentation par le Premier ministre, bien négative des choses, n’annonce pas une fuite en avant, concernant l’accueil, qui en affecterait la façon.

Le Centre d’accueil et de préparation à l’intégration (CAPI) des réfugiés est un projet européen qui vise à favoriser « l’inclusion sociale et l’intégration des bénéficiaires ». Selon les textes qui se rapportent à ce nouveau modèle, « les personnes accueillies sont censées élaborer et réaliser leur projet d’autonomie par l’accès à l’apprentissage du français, à l’emploi ou la formation et à l’habitat, et par une meilleure connaissance des administrations et des codes culturels français ». Nous voyons là définie à travers le concept « d’inclusion sociale », une vision minimaliste des enjeux de l’intégration qui ne saurait se limiter à la notion de « connaissances des administrations et des codes culturels français ». On sait combien le concept « d’inclusion sociale », venu des pays anglo-saxons, est centré sur l’intégration économique des migrants, le reste y étant en général laissé à la discrétion des communautés identitaires qu’ils sont prédestinées à rejoindre.
Une démarche qui n’a strictement rien à voir avec la vision laïque, à dimension républicaine, du modèle d’intégration à la française, qui ne connait que des individus de droit, qui ont leurs pendants aussi de devoirs. Entre ces deux conceptions, celle de l’inclusion sociale et celle de l’intégration républicaine, il n’y a rien de moins qu’un choix de société, ce que l’on ne saurait ignorer. On se souvient qu’en 2013, il avait fallu batailler contre les prises de position du Premier ministre d’alors, Jean-Marc Ayrault, qui entendait tirer un trait sur la politique d’intégration menée en France depuis près de trente ans, pour favoriser les différences jusqu’au point de remettre en cause la loi du 15 mars 2004 d’interdiction des signes religieux dans l’école, rompant avec une neutralité qui seule peut garantir l’égalité d’accès aux savoirs de chaque enfant.

Si l’on considère que l’intégration républicaine des personnes migrantes reste une dimension centrale de l’accueil, on ne doit rien lâcher sur le principe d’Egalité, porté à l’Article premier de notre Constitution, pour continuer d’affirmer que seuls les individus doivent être titulaires de droits, et ne puissent s’effacer derrière des groupes à la tête desquels des chefs négocient la vie des uns et des autres. En effet, reconnaître des droits à des groupes rompt l’égalité entre les citoyens selon qu’ils appartiennent ou non à tel groupe, comme le constitutionnaliste Guy Carcassonne pouvait nous en alerter, dans son ouvrage essentiel sur La Constitution. Sans compter encore que ces groupes puissent se prévaloir d’une religion ou/et de traditions, tendant à se placer au-dessus de la loi civile, télescopant le sens de nos institutions, tout en portant en eux de graves risques de troubles jusqu’au retour du religieux dans le politique.

Nous connaissons des difficultés d’intégration qui vont dans notre pays avec la montée des affirmations identitaires, qui se font de plus en plus prégnantes, avec des groupes de pression bien organisés qui jouent sur une victimisation à outrance des étrangers ou de leurs descendants, pour contester la République, ses principes, tout particulièrement sa laïcité. Une partie d’entre eux est tentée par le communautarisme, mettant en danger l’unité et la cohésion de notre pays à travers la mise en cause de notre modèle républicain humaniste. Ce qui montre combien on ne saurait accueillir sans penser l’avenir, et anticiper sur les enjeux de l’intégration.

Si nous voulons que l’accueil des migrants ne se traduise pas par le risque que notre République vole en éclats, il faut que la laïcité reste notre boussole, autrement dit, le traitement de tous devant la loi par-delà l’origine, la couleur, la religion des personnes. Mais aussi, que la valeur de bien commun du politique, de la démocratie, de la loi commune, de l’intérêt général, les droits et libertés individuels autant que collectifs, dont les libertés économiques et sociales font partie, portée au-dessus des différences, ne soit jamais perdue de vue. Laisser les divisions ethniques ou/et religieuses s’installer divisant les forces sociales, ce serait créer les conditions qu’elles ne soient plus à même de se rassembler pour jouer leur rôle et protéger ces acquis politiques, civiques et sociaux, précieux pour tous.

Il faut aussi bien voir qu’accueillir sans mesure comprend le risque pour les migrants, qu’à défaut de pouvoir s’intégrer, ils ne développent des regroupements communautaires, avec leur fonctionnement clanique, contraire à nos principes républicains et à leur intérêt. Aussi, une politique d’intégration bien pensée a pour corollaire la maîtrise des flux migratoires. Le Comité Laïcité République entend que nous demeurions avant tout une société de citoyens, pour cela, il faut savoir ce qu’ici on entend défendre, en posant comme premier terme à cette politique d’accueil, l’appropriation par ceux qui en bénéficient de notre modèle républicain.

Guylain Chevrier



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