Revue de presse

"La négation : pas à pas, le "ne" disparaît de la langue française" (Marianne, 18 juil. 24)

(Marianne, 18 juil. 24) 22 juillet 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "La négation : pas à pas, le "ne" disparaît de la langue française".

Dans ce premier numéro, « Marianne » s’intéresse à la négation. Même certains présidents de la République écrasent ce « ne », comme s’il était devenu superflu. Il constituait pourtant le cœur de notre négation.

Par Frédéric Pennel

Être ou ne pas être. En principe, une mauvaise nouvelle s’annonce en deux temps : d’abord le « ne », puis le « pas ». Comme si l’on voulait préparer les esprits. « Le “ne” est de la courtoisie, c’est une prévenance. C’est comme un clignotant : je te préviens que le verbe que je vais employer est au négatif et va te faire mal », décrypte le poète Alain Borer. D’autres langues ne s’embarrassent pas de tant de précautions : no way !

À l’origine, la négation reposait sur « ne », et « pas » n’était que de la fioriture. Dès les serments de Strasbourg (842), le plus ancien texte écrit en français, la négative s’exprimait par « non », qui s’est ensuite affaibli en devenant « ne ». Soucieux d’appuyer leur dénégation, les locuteurs ont alors pris l’habitude de la préciser. Je ne bois goutte, je ne mange mie, je ne couds point et, bien sûr, je ne marche pas. « “Pas”, qui signifie “le pas”, était d’abord associé à un verbe de mouvement : dire “je ne bois pas”, littéralement, c’est assez absurde, car ça n’aurait aucun sens de boire des pas », explicite le linguiste Gilles Siouffi.

Progressivement, « pas » s’est répandu pour remplacer les « guère » ou « goutte ». Seul « point » résiste encore dans le Midi, même s’il recule incontestablement. Même le grand Corneille, avec son « Va, je ne te hais point », n’a pu endiguer sa chute.

Non content d’avoir écrasé ses concurrents, « pas » a également évincé le « ne ». Le phénomène n’est pas nouveau. On le retrouvait il y a quatre siècles dans la bouche du jeune Louis XIII, dont le médecin a retranscrit les paroles. « Le petit roi fait les négations sans “ne”, précise le linguiste Gilles Siouffi. Même s’il s’agit d’un langage d’enfant, on peut dire que l’absence du “ne” est attestée de manière très ancienne à l’oral. »

“Tu le verras plus”
La linguiste Henriette Walter, dans son ouvrage le Français dans tous les sens, constate que « je sais pas » est devenu beaucoup plus courant que « je ne sais pas », « et cela aussi bien dans les milieux cultivés – bien que ces derniers s’en défendent – que chez les gens peu instruits ».

Certaines régions respectent davantage le « ne » que d’autres. Les rares études donnent des tendances. Son érosion apparaît encore plus prononcée dans le nord de la France, avec un taux d’emploi très faible. Une étude de 2004 auprès d’adultes diplômés du supérieur y a évalué la présence du « ne » à… 8 % ! Au contraire, le Midi le respecterait davantage (66 % de « ne », selon une étude de 1983), là où l’on prononce davantage les lettres et les « e » muets.

Mais le critère essentiel semble générationnel. En 1965, Charles de Gaulle, répondant en conférence de presse à une question sur sa santé, prononce distinctement le « ne » : « Je ne vais pas mal mais rassurez-vous, un jour, je ne manquerai pas de mourir. » En 2013, François Hollande répond à un enfant lui demandant des nouvelles de Nicolas Sarkozy : « Ah ben, tu le verras plus. » Sans pitié, le président a avalé le « ne ».

C’est ainsi que la double négation disparaît pas à pas. « Le “ne” est comme si je retenais une branche dans une promenade en forêt avec une demoiselle, compare Alain Borer. Maintenant, sans "ne", on lui fout la branche dans la gueule. » L’oral a entraîné l’écrit dans la chute. Depuis le XIXe siècle, la négation sans « ne » s’affiche de plus en plus sur le papier. L’aboutissement du processus réside dans des formules écrites telle que : « Pas de verres sur la piste ». Bref, sans « ne », on n’y voit plus goutte.


Voir aussi dans la Revue de presse tout le dossier Marianne "Disparu du français" (été 24) dans Langue française dans Être Français (note de la rédaction CLR).


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