Revue de presse

« La liberté d’expression est-elle une menace pour la démocratie ? » (E. Bastié, Le Figaro, 15 jan. 25)

(E. Bastié, Le Figaro, 15 jan. 25) 15 janvier 2025

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"CHRONIQUE - L’hystérie que déclenche la libération de la parole sur les réseaux sociaux trahit une panique chez un camp progressiste habitué au monopole médiatique qui a oublié les fondements du pari démocratique.

Par Eugénie Bastié

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Elon Musk et Mark Zuckerberg seraient-ils les nouveaux chantres de l’illibéralisme ? C’est ce que l’intelligentsia progressiste cherche à nous faire croire ces derniers jours. On reproche au premier ses prises de position politiques intempestives sur son réseau social X, et au second son virage à 180 degrés contre le wokisme et la censure. Tant que Facebook et Twitter œuvraient à la diffusion des idées inclusives, qu’ils propageaient le feu de #MeToo ou de Black Lives Matter, ils étaient considérés comme de merveilleux outils démocratiques. Mais maintenant que s’y expriment des points de vue conservateurs ou nationalistes, les voilà dangereux. Vérité en deçà du politiquement correct, mensonge au-delà.

Trois reproches sont faits aux réseaux sociaux : de propager les discours de haine et la violence, de diffuser des fausses informations, de pratiquer l’ingérence au service d’un projet politique précis. Répondons à ces trois accusations.

On accuse les réseaux sociaux de libérer la violence en politique. Il est indéniable que la polarisation politique est accélérée par la culture du clash et de l’extrait qui se pratiquent sur ces plateformes. Mais la censure n’a jamais permis une réduction de la violence. Rappelons que la prise du Capitole par les trumpistes fanatisés a eu lieu au moment même où Twitter était entre les mains de dirigeants pro démocrates qui censuraient à tour de bras les comptes d’alt-right ou complotistes. Quand la liberté d’expression est bâillonnée, le risque est de transférer la catharsis médiatique dans la rue par des moyens physiques plus violents.

Cool car de gauche
Autre procès fait aux réseaux sociaux : la diffusion de fake news. Notre ministre du Numérique et de l’Intelligence artificielle, Mme Clara Chappaz, interrogée sur les polémiques autour d’Elon Musk, a déclaré qu’il fallait s’assurer que « des opinions qui seraient des fausses opinions peuvent être sorties de la plateforme ». Reprise par un journaliste, elle s’est corrigée : « je voulais dire fausse information ». Mais le lapsus est intéressant. Car, qu’est-ce qu’une fausse opinion au juste ? Et surtout qui la détermine ? L’État ? Les journalistes de gauche de Franceinfo ? Emmanuel Macron à l’Élysée ? Un ministère de la Vérité ? Il arrive que des informations soient jugées fausses à un instant T pour se révéler ensuite crédibles : le déclin cognitif de Joe Biden, l’origine du Covid ou le fait qu’il y ait des terroristes parmi les migrants en sont des exemples. Ne soyons pas relativistes : les faits existent. Mais ce n’est certainement pas à une poignée de journalistes ou de fonctionnaires de déterminer la vérité officielle. Les « notes de la communauté », un système de correction par les pairs sourcé, est bien plus efficace que le système de fact-checking centralisé.

Si les réseaux sociaux diffusent souvent de fausses informations, il arrive parfois qu’il permette d’en corriger. Le week-end dernier, la patronne des Verts Marine Tondelier, a déclaré sur RTL que 40 % de la population de Gaza avait été exterminée par Israël. Un chiffre évidemment mensonger. Après que des internautes sur les réseaux sociaux ont déboulonné son mensonge, elle a fini par s’excuser et retirer ses propos. La même voudrait pourtant « interdire X » en raison de la désinformation qui s’y propage.

Enfin, la dernière accusation est celle d’une ingérence, pratiquée notamment par Elon Musk qui soutient l’AfD ou attaque le premier ministre britannique sur X. Notons d’abord que ces prises de position n’engagent que lui et que tout autre point de vue peut s’exprimer sur X. D’autres magnats des médias ne s’embarrassent pas de pluralisme. « Je mets mes intérêts financiers au service de mes idées » : cette phrase, ce n’est pas Elon Musk ni Vincent Bolloré qui l’a prononcé, mais Matthieu Pigasse, l’homme de médias cool car de gauche. Dans Libération , le millionnaire progressiste qui possède des parts dans Le Monde affirme qu’il veut « mettre les médias qu’il contrôle dans le combat contre la droite radicale ». Bien sûr, aucun syndicat, aucun homme politique, aucun technocrate européen n’a protesté contre cette ingérence médiatique, ni ne s’est inquiété pour la liberté d’expression des journalistes dans les médias qu’il possède.

Le pari démocratique
Ces débats autour de la liberté d’expression trahissent la panique d’un camp progressiste qui ne supporte pas la remise en cause d’un monopole médiatique. En voulant interdire les réseaux sociaux, ils nous font songer au roi Charles X promulguant ses ordonnances abolissant la liberté de la presse en juillet 1830 pour sauver son ancien régime agonisant. L’ancien régime technocratique a peur de la liberté d’expression. On arrive à une forme de retournement insensé formulé par la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet : « La libéralisation des réseaux sociaux américains est une menace pour la démocratie. » Orwell n’aurait pas mieux dit. La guerre, c’est la paix. La liberté d’expression, c’est une menace pour la démocratie.

Les dirigeants européens devraient se souvenir que les États-Unis, pays où la liberté de parole est sacralisée par le 1er Amendement, sont l’une des seules démocraties à n’avoir jamais sombré dans la dictature. Alors oui, le risque de la liberté d’expression, c’est de voir des mensonges prospérer dans le débat public. Une liberté d’expression qui serait réservée à des propos vérifiés par l’État n’en est pas une. Aucun régime n’est parfait et chacun doit être vigilant. Les réseaux sociaux ne doivent pas être des zones de non-droit. Mais le risque encore plus grand de la censure, c’est de voir prospérer une vérité officielle déterminée par un nombre restreint de personnes. À l’heure où l’écrivain Boualem Sansal croupit dans une prison pour quelques mots, il est lamentable que ceux qui nous gouvernent oublient le sens du pari démocratique."


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