La Laïcité, un outil pour l’appréhension des enjeux bioéthiques

par Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité République. 24 septembre 2018

En cette période qui voit se succéder les auditions de personnalités de tous bords et de toutes compétences, par la mission parlementaire de révision de la Loi de bioéthique, le CLR a été appelé à donner son point de vue sur les enjeux démocratiques que soulève cette loi.
La loi de bioéthique, révisée déjà à deux reprises, selon les règles fixées et du fait des avancées permanentes des sciences du vivant, doit connaître avant la fin de 2019 une nouvelle mouture.
C’est donc dans le cadre de ce processus que le CLR a été auditionné.

Loin des extrêmes, qu’ils soient les indigénistes, les communautaristes ou les identitaires, le CLR défend la laïcité comme vecteur de la liberté des individus, de la solidarité entre les citoyens et de l’unité du peuple français.

Dans le fond, le programme du CLR pourrait tenir dans :

  • Les articles 3 et 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 :
    • Art. 3. Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.
    • Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.
  • L’article 1er de la Constitution,
    • La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.
  • Les articles 1 et 2 de la Loi de 1905
    • La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
    • La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte…

L’Histoire qui a modelé les Français et pas seulement les militants laïques, c’est celle de la sortie de l’organisation féodale et de l’organisation tribale de la société, sortie qui s’est produite entre le XIVe et le XVIIIe siècle, pour instituer progressivement un sujet autonome, rationnel et politique qui a trouvé sa pleine maturité dans la Révolution française.
C’est la philosophie de Condorcet, éminemment politique en ce qu’elle ne fait appel à aucune transcendance, plutôt que celle de Locke, fondée sur la notion surplombante de tolérance, même mutuelle.

De cette histoire et de cette philosophie, trois principes émergent, qui nous gouvernent :

  • La liberté absolue de conscience ;
  • L’égalité absolue entre tous les citoyens, sans distinction aucune ;
  • L’égalité de tous les citoyens devant la loi.

C’est ce patrimoine, qui fonde l’idéal de la recherche du bonheur humain, emblématique de la modernité, que nous voulons faire progresser au XXIe siècle en l’adaptant à ce que certains appellent le nouveau monde, d’autres la post-modernité.

En matière de bioéthique, ce patrimoine se décline ainsi :

  • Donner toujours plus de liberté aux individus pour leur émancipation ;
  • En respectant la dignité humaine ;
  • Sans empiéter sur la liberté des autres.

Nous devons pour respecter ces principes, rester autonomes, rationnels et politiques et ne pas faire place à l’irrationnel ou aux oukases. Aucune opinion, aucune religion, rien de ce que les Américains appellent les « feelings » ne peut être d’un poids quelconque dans la décision politique. C’est un point nodal de la politique républicaine.

Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de remettre en cause les droits humains et les droits individuels, il s’agit de faire entendre qu’ils ont une limite qui est le retour à un état d’atomisation des êtres humains, proche de l’état de nature, qu’imaginait Rousseau, dans lequel les êtres humains se cognent les uns aux autres, au hasard de trajectoires incontrôlées et produisent de la violence, par peur, par égoïsme et par triomphe du moi sur le nous (pensons à cet horrible et récent fait divers, qui a vu un homme massacré par deux brutes ensauvagées sur un parking d’hypermarché).

Ces principes posés, ces outils forgés, nous tentons de les utiliser et de les convoquer face à chaque question, politique, économique, sociale, culturelle. C’est en ce sens que la laïcité est trans-partisane et qu’elle est une arme puissante de progrès social pour tous les partis qui se situent dans le cadre démocratique et n’ont pas pour objet patent ou latent de réduire cette démocratie.

Les maîtres-mots de notre idéal sont la perfectibilité de l’être humain et son émancipation.

Qu’il soit aussi clairement rappelé que la laïcité n’est pas l’avers d’une médaille dont le revers serait la foi. La laïcité n’est pas l’athéisme. Elle est simplement neutre et volontairement indifférente face aux croyances philosophiques et religieuses des citoyens. Et cela convient au peuple laïque, qui est largement majoritaire dans notre pays, comme le démontrent toutes les enquêtes et tous les sondages qui se succèdent depuis quelques années.

Enfin, n’oublions pas que si la laïcité est déterminée par les principes généraux de notre droit, par notre Constitution et par nos lois, elle est aussi devenue un « habitus », pour parler bourdieusien, c’est-à-dire une manière d’être des Français, se manifestant dans leur apparence et leur maintien.

Il n’est que voir par ces temps de forte chaleur, des hommes et des femmes, attablés ensemble aux terrasses des cafés, vêtus sans aucune contrainte autre que celle de l’appréciation de chacun, riant ensemble, parlant d’égale à égal, pour mesurer le bonheur que l’on ressent à vivre dans la France laïque, républicaine, solidaire et sociale.
Ce bonheur du comportement est très rare, même dans les pays démocratiques ; il est en quelque sorte la quintessence de notre génie national, comme on disait au XIXe siècle. Ce n’est pas pour rien que les terrasses ont été les cibles des terroristes islamistes en novembre 2015. C’est cet idéal que nous prenons pour guide, même si nous sommes encore loin de l’avoir atteint, et non les propositions régressives, délétères et accablantes de la partition, de la séparation, selon le genre, le sexe, la religion, la couleur ou tout autre clivage artificiellement essentialisé en une nature, un « feeling » qu’il ne faudrait pas froisser.

C’est en ce sens et dans ces limites que notre sillon laïque peut aussi être tracé dans le champ de la réflexion bioéthique, face à la floraison de nouveaux droits.

Nous engageons modestement nos représentants politiques à entendre notre proposition consistant à s’emparer des outils de la laïcité émancipatrice pour travailler ce sujet.

Donnons un exemple de cette application de la pensée laïque aux questions bioéthique. Cet exemple est volontairement choisi en dehors du champ de la loi en cours de révision, afin de ne pas prêter le flanc à une polémique mais plutôt de montrer l’efficacité de ces outils. Il s’agit la fin de vie sujet majeur de l’éthique.

Posons-nous les trois questions de notre boîte à outil laïque :

  • Le choix de sa fin de vie est-il une liberté supplémentaire accordée aux individus ? La réponse est sans ambigüité OUI
  • Avoir le choix de sa fin de vie est-il une possibilité qui respecte la dignité humaine ? La réponse est sans ambigüité OUI, là encore ; mais la loi doit encadrer cette possibilité pour ne pas déchoir à la dignité. Ainsi, personne ne devrait pouvoir se prévaloir de cette liberté pour choisir de se pendre ou de se tirer une balle dans la tête, dans le cadre d’une loi d’émancipation. Ces moyens dégradants ne peuvent entrer dans le cadre social. Pas plus que le lancer de nains, activité qui fut interdite, malgré la revendication claire des nains qui y participaient [1] ; pas plus que le fait de se vendre comme esclave, même en toute volonté.
  • Cette nouvelle liberté empiète-t-elle sur la liberté des autres ? La réponse est sans ambigüité NON. Et c’est ici qu’il est essentiel de ne pas tomber dans le piège de l’irrationnel en prenant en compte les « ressentis », les « sentiments », les « feelings ». « It hurts my feelings », disent les Anglo-Saxons… Mais si on laisse s’instaurer cet « argument », en son nom toute liberté peut être et sera immanquablement rognée puis annulée.

On voit donc que cette batterie de question permet de faire la différence entre des chemins droits et dégagés, et d’autres plus tortueux et embrumés. C’est à la condition d’avoir résolu ces questions laïques que l’on pourra avoir l’assurance de mettre en œuvre de nouvelles libertés émancipatrices qui ne sont pas porteuses de contraintes pour une ou plusieurs des parties.

Il faudra bien sur aborder les deux questions monumentales qui se profilent désormais sur le proche horizon de la réflexion éthique et se font de plus en plus pressantes. Celle de la révolution numérique et celle du transhumanisme.

Sur ces points comme sur les autres, notre batterie de questions laïques est le bon outil. Rappelons notre proposition Pour envisager sereinement les questions de bioéthiques, nées des progrès scientifiques, n’oublions à aucun moment :

  • Que l’objectif n’est pas la satisfaction du désir sans fin de chaque individu, mais la perfectibilité morale et l’émancipation collective de tous, donc de chacun ;
  • Que les moyens en sont définis par les principes gravés aux frontons de nos mairies, Liberté, Égalité, Fraternité, et leur couronnement, la Laïcité, garantissant la liberté absolue de conscience, l’égalité absolue entre tous les citoyens, sans distinction aucune et l’égalité de tous les citoyens devant la loi ;
  • Que les outils d’analyse que nous vous proposons sont ces trois questions que devraient sans cesse se poser nos représentants politiques :
    • Ma décision concourt-elle à l’émancipation des êtres humains ?
    • Ma décision respecte-t-elle la dignité humaine ?
    • Ma décision empiète-t-elle sur la liberté des autres ?

C’est le rôle du CLR de rappeler cette démarche.


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