"« Charlie Hebdo », Montrouge, Hyper Cacher. Dix ans après" (Le Point, 1er jan. 25) 6 janvier 2025
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Lire "Dix ans après, que reste-t-il de l’esprit Charlie ?"
Divorce. Entre le 7 et le 9 janvier 2015, la France était frappée par une série d’attaques terroristes. Dans un pays toujours menacé mais profondément divisé, que reste-t-il aujourd’hui de l’esprit Charlie ?
Par Erwan Seznec
« N’oubliez pas que c’est Charlie Hebdo qui a tiré le premier. » Voilà comment une certaine Taous Hammouti avait commenté, à chaud, la tuerie du 7 janvier 2015 sur les réseaux sociaux. Elle était alors la figure de proue d’une association appelée l’Alliance citoyenne. Une réaction aussi insensée aurait dû décrédibiliser la jeune femme, mais également l’Alliance, qui l’avait cautionnée par son silence.
Il n’en a rien été. En 2017, l’Alliance a participé à la création de l’Institut Alinsky, qu’EELV et LFI ont choisi plusieurs fois pour former leurs élus. « Taous Hammouti n’a jamais été désavouée, relève l’essayiste laïque et féministe Naem Bestandji, qui la suit depuis des années. Les convictions de l’Alliance n’ont pas changé, et les Verts comme les Insoumis s’en accommodent. » Au programme, promotion du burkini dans les piscines comme du hidjab sur les terrains de foot et défense tous azimuts des musulmans, jugés imperméables au second degré et à la dérision.
Cette France qui n’est pas Charlie
« “Charlie a tiré le premier, ils l’ont bien cherché”, ce sont des propos que j’ai entendus de la part de collègues spécialistes du Proche-Orient », déplore l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler, autrice du Frérisme et ses réseaux (Odile Jacob, 2023). Chargée de recherche au CNRS-Groupe sociétés, religions, laïcités, son intransigeance envers l’islam radical est mal vue au sein de l’institution. « Ils veulent me mettre à la porte. Lorsque j’ai eu la Légion d’honneur, en juillet 2024, la personne qui gère le compte de mon laboratoire sur les réseaux sociaux a liké, spontanément. On lui a demandé de retirer le like… »
La France, du moins une certaine France, n’est pas Charlie. Une rapide plongée dans les archives montre que la solidarité sans faille autour de la rédaction décimée n’a jamais existé. Dès le 15 janvier 2015, Le Monde publiait une tribune collective intitulée « Non à l’union sacrée ! ». Dans une inversion devenue classique, les signataires dénonçaient « l’obsession qui s’était enracinée dans le journal contre les musulmans », damnés de la terre présumés, dont ils se décrétaient les défenseurs.
Sidération. Le 9 janvier 2015, la BRI et le Raid prennent d’assaut l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, à Paris, où Amedy Coulibaly retient 26 otages. Quatre d’entre eux ont été tués par le terroriste, abattu pendant l’opération.
Dans les dix ans précédant le massacre, Charlie avait attaqué l’extrême droite des centaines de fois, une vingtaine de fois les catholiques et sept fois seulement l’islam, mais peu importe. L’idée était d’occuper le créneau porteur du rejet de Charlie. La quinzaine de signataires de la tribune du Monde a fait du chemin. L’un (Rémy Toulouse) a été nommé, en avril 2015, directeur littéraire de La Découverte, prestigieuse maison d’édition de gauche. L’autre (Marwan Mohammed) est devenu un sociologue médiatique, spécialiste de l’islamophobie et de la jeunesse stigmatisée des quartiers populaires. Un troisième encore (Julien Théry), historien, s’est vu confier une émission sur Le Média, la chaîne télé des Insoumis.
Marqueur électoral
Responsable de la sécurité de la rédaction après l’attentat de 2015, Éric Delbecque, en veut énormément au parti de Jean-Luc Mélenchon, coupable selon lui d’avoir transformé le rejet de Charlie et de la laïcité en marqueurs électoraux. Dans l’espoir de capter les voix des banlieues, les Insoumis « Hamas-compatibles », dit-il, refusent de regarder la réalité en face. Et, par « peur de paraître xénophobe » et pour le « frisson petit-bourgeois de se sentir révolutionnaire », une large partie des élites de gauche s’aligne sur eux dans les sphères politique, universitaire et littéraire. Sans parler de la sphère associative…
En 2018, l’antenne marseillaise du Planning familial a refusé de condamner l’excision, au nom du respect de la diversité… Ces dernières années, le fossé n’a cessé de se creuser. À l’occasion des JO 2024, Amnesty France a défendu le port du voile pour les sportives, alors que la rédaction de Charlie dénonçait une instrumentalisation flagrante de cette revendication. Simple malentendu, chacun défendant la liberté à sa manière ? Éric Delbecque n’y croit pas. « On a en face de nous des gens qui font mine de ne pas comprendre que les islamistes invoquent des grands principes démocratiques qu’ils aboliraient sitôt arrivés au pouvoir. »
Logique fondamentaliste
Qu’en pense la grande masse des citoyens, voilà sans doute la seule question qui vaille. Est-elle encore Charlie ? Les enquêtes d’opinion seraient plutôt rassurantes. En mars 2024, la Fondation Jean-Jaurès trouvait seulement 5 % des Français de 18 à 30 ans ayant une opinion négative de la laïcité, avec une pointe à 11 % chez ceux qui se disaient musulmans. La laïcité est souvent floue, mais, dans le détail, seul un sondé sur quatre souhaitait « plus de tolérance envers les expressions des identités religieuses », et 29 % souhaitaient plus de fermeté.
Un autre sondage, publié en décembre 2023, confirmait toutefois l’existence d’une minorité musulmane glaçante. Un musulman sur six interrogés par l’Ifop (16 %) ne condamnait pas totalement l’assassinat du professeur Dominique Bernard par un islamiste à Arras, un mois plus tôt ! Les mêmes questions avaient été posées dix ans auparavant à propos de l’attaque contre Charlie Hebdo, avec des résultats presque identiques : 15 % d’absence de condamnation et 5 % de franche approbation. C’est peu, mais, sachant que deux tireurs ont suffi pour assassiner 12 personnes le 7 janvier 2015, c’est encore trop.
La communauté juive française est mieux placée que nulle autre pour mesurer le danger. Quarante-huit heures après Charlie, le 9 janvier 2015, quatre personnes trouvaient la mort à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, sous les balles de l’islamiste Amedy Coulibaly. Elles aussi l’auraient-elles « bien cherché », comme les journalistes de Charlie, mais par le seul fait d’être juives ? Dans une logique fondamentaliste, oui. Mais telle est précisément la logique que Charlie Hebdo nous appelle à rejeter.
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales