Revue de presse

"La "fin de l’histoire" de Francis Fukuyama, ce cliché pas si bête de discussion géopolitique" (Marianne, 13 juil. 22)

"Du concept aux poncifs". 9 août 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"S’essuyer les pieds sur la thèse formulée il y a trente ans par le chercheur américain Francis Fukuyama, notamment depuis le retour de la guerre en Europe, est devenu une position un peu facile à défendre. Car l’idée de la « fin de l’Histoire » tient toujours debout, à condition de sortir de la caricature.

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Quand certains concepts finissent en poncifs à force d’être brandis, d’autres le deviennent à force d’être contredits. La « fin de l’Histoire » appartient à la seconde catégorie, tant elle s’est transformée, ces dernières années, en un lieu commun des débats géopolitiques, des discussions d’amateurs éclairés sur des plateaux de télé. Elle est l’œuvre du politologue américain Francis Fukuyama, qui l’a développée dans un article de 1989 intitulé « The End of History ? », puis dans l’ouvrage The End of History and the Last Man en 1992, dans lequel il prédit « l’universalisation de la démocratie libérale occidentale comme forme finale de tout gouvernement humain ». [...]

Premier élément de contextualisation qu’invoque Fukuyama : la « fin de l’Histoire » ne signifie pas qu’il n’y aura plus jamais de conflits. « Je n’ai jamais dit qu’il n’y aurait plus de guerre. J’ai surtout constaté qu’une vision progressiste de l’Histoire menait le monde dans une certaine direction, vers un ­certain type de société. J’ai cherché à montrer, à l’époque de la fin de la guerre froide, que le stade le plus élevé du développement humain était fait d’une combinaison de démocratie libérale et d’économie de marché. »

Pour Fukuyama, la victoire de la démocratie libérale sur le terrain des idées philosophiques ne signifiait aucunement qu’elle l’emporte aussi sur le terrain de la réalité politique. Pour simplifier : plus que sa mise en œuvre, c’est l’idéal recherché par les pays en voie de développement qui compte. [...]

Fukuyama confesse néanmoins deux limites à sa propre théorie. La première : « Je n’avais pas anticipé la question de la décadence politique en regardant l’histoire et la construction de la démocratie comme un mouvement vers l’avant perpétuel, sans penser que les choses puissent s’inverser, comme avec Trump, qui nous a fait vivre un affaiblissement de certaines institutions démocratiques. » On songe, à ce titre, à la critique que Samuel Huntington lui adressait en parlant de « finisme » (endism), néologisme utilisé pour désigner sa doctrine et expliquer qu’elle sous-estime la faiblesse et l’irrationalité humaines, ce qui lui permet d’affirmer que le retour en force d’une idéologie capable de mettre à mal la démocratie libérale est toujours possible. La seconde autocritique de Fukuyama ? « Il est plus difficile que je ne le pensais à l’époque d’atteindre cette fin de l’Histoire en faisant naître dans les différents pays un État moderne, dans lequel on trouve de faibles niveaux de corruption. » [...]

Si Fukuyama n’a finalement pas eu entièrement tort, le fait est que sa thèse a donné lieu à un clivage idéologique entre multilatéralistes mondialistes et réalistes nationaux. Hubert Védrine résume les choses ainsi : « Beaucoup de gens aimeraient qu’il ait eu raison, ou qu’il ait raison un jour. Citons en désordre : les Européens dans leur majorité. D’une certaine façon, dans des genres proches, Barack Obama ou Bill Gates. Les prophètes du paradis technologique californien. L’Union européenne, par son logiciel d’origine. Le philosophe allemand JürgenHabermas. Les secrétaires généraux de l’ONU par fonction. La plupart des juristes de droit international. Le jury du prix Nobel. Pas mal d’adeptes de l’économie globale de marché, dérégulée. Tous ceux qui vivent dans le système multilatéral. Mais nous sommes dans le monde de Trump, de Poutine, de Xi Jinping, de Netanyahou, de Khamenei, d’Al-Qaida et de Daech, etc., et les Européens y sont sur la défensive. Donc rien n’est joué. »"

Lire "La "fin de l’histoire" de Francis Fukuyama, ce cliché pas si bête de discussion géopolitique".


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Marianne "Du concept aux poncifs" (juil.-août 22) (note du CLR).


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