Revue de presse

"La Cour des comptes inquiète les associations caritatives d’inspiration religieuse" (La Croix, 14 jan. 25)

(La Croix, 14 jan. 25) 14 janvier 2025

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Analyse Un rapport de la Cour des comptes sur le Secours catholique, publié le 6 janvier, interroge pour la première fois la compatibilité de la référence religieuse d’une organisation avec sa mission caritative financée par la générosité publique. Une réflexion inédite qui sème a minima le trouble dans le secteur associatif.

Bernard Gorce

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La publication d’un rapport de la Cour des comptes sur le Secours catholique, le 6 janvier, jette le trouble au sein du monde associatif. Ce n’est pas l’analyse scrupuleuse des finances et du fonctionnement de l’organisme – dans l’ensemble élogieuse – qui pose question. Mais deux petites pages sur 115, consacrées aux « activités liées à l’objet spirituel » de l’association. Le rapport y soulève, sans conclure, la question de la compatibilité de certaines pratiques avec l’appel à la générosité du public.

Les magistrats relèvent que le document "Vivre la dimension spirituelle au Secours catholique" adopté par ses instances en 2021 rappelle « l’enracinement évangélique au cœur de la pédagogie de la rencontre » et autorise l’utilisation de textes bibliques dans l’accompagnement des bénéficiaires. Le rapport pointe aussi « le financement de l’hébergement dans des lieux sacrés à Lourdes et à Jérusalem ». Cette activité étant déficitaire, elle est en partie financée par des ressources issues de la générosité publique.

La Cour des comptes considère que, s’il s’avérait que le Secours catholique menait une activité de promotion de la foi « régulière et délibérée, elle s’exposerait au risque que soit constatée la non-conformité des fonds aux objectifs de l’appel », les campagnes du Secours catholique étant centrées sur l’action caritative.

Accueil inconditionnel

Comme ils l’avaient fait en 2007, les magistrats ont consacré plusieurs mois à étudier la gestion de l’organisation. Ses responsables ont été auditionnés en septembre puis ont reçu le rapport auquel ils ont apporté une réponse écrite le 4 décembre. Dans ce courrier, le Secours catholique rappelle que, loin de se résumer à des prestations de type aide alimentaire, sa mission est d’« accueillir de manière inconditionnelle, accompagner sur le temps long les personnes en précarité dans toutes les dimensions de leur humanité ». Le courrier signé de Didier Duriez, président national, insiste : « La dimension spirituelle et ecclésiale nous rend attentifs au besoin, pour les personnes en précarité, d’exprimer ce qui leur donne espoir et force au quotidien. »

Après la publication du rapport définitif, contenant ce qui ressemble à une mise en garde, le Secours catholique n’a pas souhaité réagir officiellement. L’organisation est actuellement en discussion avec le ministère de l’intérieur pour réécrire ses statuts et préfère éviter les controverses. Une autre grande association catholique jointe par La Croix ne veut pas non plus réagir à chaud mais dit se saisir du dossier avec beaucoup d’inquiétude.

La Bible, patrimoine universel

Du côté du monde protestant, la réaction est plus directe. Isabelle Richard préside la Fédération de l’entraide protestante (FEP), qui représente de nombreuses organisations comme l’Armée du salut, la Fondation John-Bost (une quarantaine d’établissements de soin). La FEP s’est aussitôt saisie du rapport qui suscite pour le moins la perplexité. « À la différence du Secours catholique, nos organisations vivent peu de l’appel aux dons mais essentiellement de subventions publiques, précise Isabelle Richard. Mais la dimension spirituelle est ce qui nous spécifie, et comme le Secours catholique, notre projet est de faire vivre cette vocation spirituelle. »

La mention de la Bible dans le rapport a sidéré la présidente. « Ce livre appartient au patrimoine universel et peut être une ressource dans une lecture athée ou une approche philosophique. Que veut dire exactement la Cour des comptes, dont on connaît la rigueur ? De même, on ne voit pas d’argumentation qui justifie de mentionner les maisons de Lourdes ou de Jérusalem. Cette petite partie du rapport n’est vraiment pas étayée », regrette Isabelle Richard.

Prosélytisme abusif

À la Cour des comptes, on insiste sur le fait que ce développement n’est pas conclusif mais vise à ouvrir une réflexion sur la place du spirituel dans un cadre philanthropique. Depuis la loi dite séparatisme d’août 2021, les relations entre la puissance publique et le monde associatif ont de fait évolué. Cette réforme qui a instauré la signature d’un contrat d’engagement républicain (CER) à toute organisation sollicitant une subvention publique a pour effet de renforcer le contrôle administratif.

Le législateur a précisé que les associations reconnues d’utilité publique, tel le Secours catholique, sont présumées conformes et n’ont pas besoin de signer le CER. Le rapport de la Cour précise pourtant que cette présomption n’exonère pas de proscrire tout « prosélytisme abusif » et il invite le Secours catholique à prendre des directives pour éviter tout risque de pression sur les bénéficiaires des aides.

Pour le juriste Vincent Valentin, auteur en 2014 d’un essai sur l’émergence d’une laïcité de contrôle (1), ce rapport est « le parfait exemple des effets pervers de la loi de 2021. Pour s’en prendre à l’islamisme, qui était la cible des pouvoirs publics, on a mis en place des règles larges qui impactent des organisations qui n’ont rien à voir », critique l’universitaire.

Montée des intégrismes

Ancien député Renaissance, Éric Poulliat fut rapporteur du volet de la loi sur la vie associative. Le rapport de la Cour s’inscrit bien selon lui dans la logique de la réforme rendue nécessaire par le contexte d’entrisme islamiste. « La laïcité doit évoluer, non dans ses principes mais dans les outils », argumente-t-il. Si l’islam politique constitue bien la cible principale, il souligne qu’il peut provoquer la montée des autres extrémismes. « La radicalité appelle la radicalité, il y a aujourd’hui un risque de montée générale des intégrismes qui se mettent en tension les uns les autres. »

La Cour des comptes se penche chaque année sur trois ou quatre grandes associations caritatives. Si le choix a été fait d’ouvrir ce dossier des activités religieuses avec le Secours catholique, ce serait paradoxalement bien en raison de la grande fiabilité de cette organisation. En substance, la Cour explique avoir ainsi posé des repères pour exercer à l’avenir ce contrôle sur des organisations potentiellement plus problématiques.

Une stratégie qui ne convainc guère Vincent Valentin. « Ce rapport, c’est du cadrage préventif. Ce faisant, on instaure comme une présomption de culpabilité. Évoquer la lecture de la Bible paraît un argument juridiquement bien ténu. » Éric Poulliat regrette lui aussi ce choix, craignant que cette publication ajoute surtout de la confusion avec le risque de braquer l’ensemble des religions.

(1) L’Affaire Baby Loup ou La nouvelle laïcité, Éd. LGDJ."


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