Revue de presse

L’ésotérisme à travers les siècles : "A la poursuite d’un monde occulte" (L’Express, 10 août 23)

(L’Express, 10 août 23) 11 août 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"La tentation de remettre en cause le discours dominant, religion hier, sciences aujourd’hui, pour viser une "vérité absolue" a toujours existé.

Par Stéphanie Benz

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Lire "Du Moyen-Age au New Age, l’ésotérisme à travers les siècles".

[...] Le New Age, qui reste la toile de fond des croyances ésotériques actuelles, n’est pas né avec Les Enfants du verseau, le célèbre livre de la journaliste américaine Marylin Ferguson, publié en 1980, qui marque l’avènement de ce mouvement protéiforme. En découvrir les racines permet de mieux appréhender son influence. Notons d’abord qu’il peut paraître anachronique d’utiliser le mot "ésotérisme" avant la fin du XVIIIe siècle. Ce terme apparaît pour la première fois dans un texte allemand de 1792, "dans un contexte de débats portant sur les enseignements secrets des pythagoriciens", relevait l’historien Antoine Faivre, aujourd’hui décédé, dans son Que sais-je ? sur L’ésotérisme. Néanmoins, l’ensemble hétéroclite de courants de pensée qu’il désigne lui est bien antérieur. "Dans toutes les cultures, on trouve des personnes qui développent un discours visant à aboutir à la connaissance absolue du monde, constate Damien Karbovnik, sociologue et historien des religions. Cette ’vérité’ se construit contre la culture dominante : la religion pendant longtemps, la science aujourd’hui."

Astrologie, spiritisme et sociétés initiatiques

Les spécialistes laissent habituellement de côté le Moyen-Age, où se développent surtout les sciences occultes, comme la magie, l’astrologie ou l’alchimie. "Il est d’usage de dater de la Renaissance la formation d’un ésotérisme occidental. Mais il se constitue à partir de la redécouverte de sources plus anciennes", développe Damien Karbovnik dans sa thèse de doctorat. Des textes du IIIe siècle retiennent alors l’attention : le Corpus Hermeticum, un ensemble de réflexions susceptibles de mener l’homme au salut, compris comme une expérience intérieure du divin, en rupture avec la matérialité du corps. C’est aussi à cette époque que Pic de la Mirandole s’inspire de la kabbale juive pour développer une kabbale chrétienne, censée déceler le sens caché des textes sacrés. Giordano Bruno est un autre personnage clef, dont l’œuvre va de la philosophie aux sciences occultes. Il ne se limite pas aux domaines autorisés par l’Eglise chrétienne, ce qui lui vaudra de finir sur le bûcher de l’Inquisition. L’Allemagne n’est pas en reste, avec Paracelse puis Jakob Böhme, qui développent une conception magique du monde.

"Il ne faut toutefois pas penser que toute la culture savante de la Renaissance est composée d’adeptes enthousiastes de la magie et de la kabbale. Il y a des critiques et des réticences, évidemment", relève Jean-Pierre Brach. Pour autant, ces corpus de connaissance sont acceptés, ils font partie de la culture ambiante. "Il y a une vision du monde qui est commune aux savants de l’époque", assure l’historien. Et de rappeler que l’astronome Johannes Kepler, à l’origine des lois décrivant les propriétés des mouvements des planètes autour du soleil, faisait aussi des horoscopes. Le fossé entre sciences et ésotérisme se creuse seulement à la fin du XVIe siècle. "Les courants ésotériques reposent beaucoup sur l’étude des analogies et des correspondances. Les savants récusent alors ces savoirs. Ils veulent étudier la nature pour ce qu’elle est, comprendre son fonctionnement, sans a priori théologique", raconte Jean-Pierre Brach. Les changements interviennent toutefois à des rythmes variés selon les disciplines et les pays. A l’ouverture de l’Observatoire de Paris, en 1672, les astronomes ont ainsi l’interdiction de réaliser des horoscopes. En revanche, on trouve des traités de physiognomonie, qui prétend déterminer le caractère des individus à partir de leur apparence physique, jusqu’au XIXe siècle.

Les sociétés initiatiques, Rose Croix et loges maçonniques, apparaissent à partir de la fin du XVIIe siècle, autour de l’idée d’une connaissance ancienne sur les secrets de la nature, transmise à travers les âges. "Mais par la suite, une bonne partie de l’évolution des courants ésotériques consistera à essayer de trouver des compromis avec la science", rappelle Jean-Pierre Brach. Franz Mesmer, par exemple, cherche à démontrer l’existence du magnétisme animal, selon lequel un fluide emplit l’univers, et dont la mauvaise répartition engendrerait des maladies. Récusées par l’Académie de médecine en 1784, ses théories continueront d’alimenter les controverses scientifiques. Il en va de même avec le spiritisme, qui se répand comme une trainée de poudre après 1850. Si l’instituteur lyonnais Hippolyte Léon Rivail Denizard, plus connu sous le nom d’Allan Kardec, n’en est pas à l’origine, il contribue à son immense succès avec son Livre des esprits (1857). "Il ne se définit pas comme occultiste. Au contraire : il veut fonder une espèce de science de l’âme et de ses manifestations posthumes sur base expérimentale", souligne Jean-Pierre Brach. La communication avec les morts et les tables tournantes séduisent alors largement, notamment dans les milieux intellectuels. Victor Hugo, Camille Flammarion ou encore Théophile Gautier en sont de fervents adeptes.

De Rudolf Steiner à l’Ordre du temple d’Orient

Dans cette ambiance, émerge un personnage essentiel pour la suite : Helena Blavatsky. "Avec d’autres spirites, elle crée en 1875 à New York la Société théosophique", indique Léo Bernard, président de l’Association francophone pour l’étude universitaire des courants ésotériques. Selon elle, le genre humain descend d’êtres spirituels venus d’autres planètes, et toutes les religions possèdent un aspect d’une vérité plus universelle. Elle veut faire advenir une nouvelle spiritualité mondiale, en incorporant les sagesses orientales, hindouisme et bouddhisme, découverts lors de ses voyages en Asie. "Les tables tournantes font place aux karmas, mantras, yoga, réincarnation et maîtres invisibles vivant dans l’Himalaya", note Pascale Duval, porte-parole de l’Union nationale des associations de défense des individus et des familles victimes de sectes, et auteure d’une thèse sur le New Age.

De la théosophie et de ses multiples scissions naîtront des mouvements encore influents aujourd’hui. L’anthrophosophie de Rudolf Steiner, par exemple. D’abord théosophe avant de prendre ses distances, ce polygraphe créé son propre courant de pensée philosophico-religieux, mêlant réincarnation, karma et entités démoniaques. Il donnera à sa doctrine des déclinaisons pratiques dans l’éducation avec les écoles Steiner-Waldrof, la santé avec la médecine anthroposophique, ou encore l’agriculture avec la biodynamie. Loin d’une simple philosophie mystique, les mouvements anthroposophiques sont aujourd’hui suivis de près par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

Parmi les descendants de la théosophie, on trouve aussi Alice Bailey, parmi les premières à parler de "Nouvel âge", ou Jörg Lanz von Liebenfels, dont les théories sur la supériorité de la race allemande aryenne ont pu inspirer Hitler, selon certains historiens. Ou encore Aleister Crowley et son Ordre du temple d’Orient, auquel sera initié un certain… Lafayette Ron Hubbard, qui fondera plus tard la Scientologie. Impossible enfin de ne pas citer le mystérieux George Gurdjieff. "Incontournable mais peu connu, il reprend les préceptes de la théosophie en y ajoutant de la pratique et des techniques de manipulation mentale", indique Hugues Gascan, président du Groupe d’étude du phénomène sectaire (GéPS). Il dissémine ses idées via des petits groupes secrets, dont certains "restent encore très actifs aujourd’hui", assure Hugues Gascan. C’est à l’un de ses adeptes célèbre, le journaliste Louis Pauwels, que l’on doit dans les années 1960 la diffusion en France d’un certain goût pour la science-fiction et le paranormal, grâce au succès de son livre Le matin des magiciens, puis de la revue Planète.

La naissance du New Age

Toutes ces graines semées, le New Age peut éclore. Son berceau se trouve sur la côte ouest des Etats-Unis, au sein de l’Institut Esalen. L’écrivain Aldous Huxley, autre adepte célèbre de Gurdjieff, contribue à en faire "un centre de développement du potentiel humain". Sur fond de haschisch, de LSD et de liberté sexuelle, l’objectif est "d’encourager le développement profond de l’individu". Avec les bouleversements économiques, la montée de l’individualisme et de la contre-culture hippie, le mouvement trouve un terrain favorable. "Le but recherché est, selon Marylin Ferguson, l’instauration d’une civilisation planétaire idéale", rappelle Pascale Duval dans sa thèse.

"Nébuleuse mystico-ésotérique", selon la sociologue Françoise Champion, difficile à saisir, le New Age a longtemps été vu comme naïf et inoffensif. Il en est loin. Ses piliers : la communication avec les entités supérieures (chanelling), l’astrologie, l’holisme (pas de séparation entre le corps et l’esprit, entre les humains et la Terre vue comme une seule entité nommée Gaïa…), les états modifiés de conscience, ou encore le concept d’inconscient collectif du psychanalyste Carl Jung. Une idéologie protéiforme et englobante, qui s’oppose aux religions et à la science, et s’avère propice aux dérives sectaires : "Si le changement du monde ne passe que par la transformation individuelle, l’engagement dans la société et le débat démocratique deviennent inutiles", avertit Pascale Duval. De fait, de nombreuses sectes s’en sont inspirées. A commencer par l’Ordre du Temple Solaire. Les suicides collectifs de ses adeptes entraîneront une prise de conscience généralisée, et un coup de frein à l’expansion du New Age. Mais l’évolution récente le montre : cela n’était que provisoire."


Voir aussi dans la Revue de presse tout le dossier L’Express "L’inquiétant essor de l’ésotérisme" (10 août 23), les rubriques Complotisme, Sectes (note de la rédaction CLR).


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