Revue de presse

"L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal arrêté à l’aéroport d’Alger" (Le Monde, 23 nov. 24)

(Le Monde, 23 nov. 24) 23 novembre 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Lire "Boualem Sansal arrêté à l’aéroport d’Alger pour des raisons inconnues".

L’écrivain, qui vit en Algérie, a été interpellé le 16 novembre à son retour de France. Ses proches sont sans nouvelles de lui depuis cette date.

Par Karim Amrouche, Mustapha Kessous et Nicolas Weill

L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, 75 ans, a été arrêté, samedi 16 novembre, à son arrivée à l’aéroport d’Alger en provenance de Paris, selon plusieurs sources jointes par Le Monde, confirmant une information donnée par Marianne, jeudi 21 novembre. Il aurait été interpellé par des membres de la direction générale de la sécurité intérieure algérienne et devrait être présenté incessamment devant le procureur de la République, rapportent les mêmes sources.

Les éditions Gallimard, son éditeur, se disent « très inquiètes ». M. Sansal n’a pas donné de nouvelles et demeure injoignable depuis plusieurs jours. « On pensait que son téléphone portable avait été confisqué par les autorités à son arrivée à l’aéroport d’Alger, explique son ami, le diplomate Xavier Driencourt. Mais il ne répondait pas à ses e-mails, à son WhatsApp, ni à son fixe chez lui. » L’ancien ambassadeur de France à Alger (2008-2012, 2017-2020) raconte avoir dîné avec l’auteur la veille de son départ pour l’Algérie. « Il est rentré chez lui par un vol Air France le lendemain. Il n’était pas inquiet », assure M. Driencourt.

Les raisons de l’arrestation de l’écrivain sont pour l’heure inconnues. Ingénieur, formé à l’Ecole polytechnique d’Alger, il a été haut fonctionnaire et a porté le titre de directeur général de l’industrie et de la restructuration, jusqu’à ce qu’il soit démis de ses fonctions en 2003. Depuis qu’il se consacre à l’écriture, il s’est attaché à prendre à rebrousse-poil la plupart des tabous et des préjugés de la société algérienne, où, depuis le coup d’Etat du colonel Houari Boumédiène en 1965 et la prise du pouvoir par les militaires, l’effervescence intellectuelle et politique des premières années de l’indépendance a laissé place à une marginalisation et à une répression des opinions déviantes.

Raidissement des autorités
Ainsi, dans son premier livre, Le Serment des barbares (Gallimard, 1999), a-t-il tenté de comprendre ce qui avait poussé ses compatriotes dans la meurtrière guerre civile de la « décennie noire » (1992-2002). Dans Le Village de l’Allemand (Gallimard, 2008), il exhume la question des relations troubles entre le nazisme et certains mouvements de lutte contre la colonisation.

De même n’a-t-il pas hésité à se rendre en Israël en 2012 ni à entretenir des relations avec des écrivains israéliens, comme David Grossman. Dans son pays, il a soutenu le Hirak, le mouvement de contestation contre la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat (2019), et a protesté contre le sort réservé aux migrants par son gouvernement.

Boualem Sansal s’est toujours fait un devoir de rester en Algérie, dans la ville de Boumerdès, à une cinquantaine de kilomètres à l’est d’Alger, où, jusque-là, il n’avait pas été inquiété par les autorités. Ses livres n’étaient pas interdits dans le pays.

Selon nos informations, il se trouvait en Algérie le 5 novembre et avait pu quitter le pays sans difficultés. Son arrestation semble confirmer un raidissement des autorités, peut-être lié à ses déclarations polémiques sur le média Frontières sur YouTube, très largement reprises par les médias marocains, il y a quelques semaines.

Ses propos ont-ils porté « atteinte à l’intégrité territoriale » ?
La France, expliquait-il, n’a pas colonisé le Maroc, « parce que c’est un grand Etat. (…) C’est facile de coloniser des petits trucs qui n’ont pas d’histoire, mais coloniser un Etat, c’est très difficile. » Plus grave sans doute aux yeux des autorités algériennes fut la reprise du discours marocain sur la géographie supposément tronquée du royaume au profit de son rival maghrébin : « Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara (…). Quand la France colonise l’Algérie, elle s’installe comme protectorat au Maroc et décide comme ça, arbitrairement, de rattacher tout l’est du Maroc à l’Algérie, en traçant une frontière. »

Pour certains observateurs, l’écrivain avait, par ces propos, franchi une « ligne rouge » aux yeux du régime, le rendant potentiellement passible d’une poursuite pour « atteinte à l’intégrité territoriale ».

Devenu Français il y a quelques mois, Boualem Sansal comptait « s’installer en France », selon Xavier Driencourt. « Il trouvait que l’Algérie devenait irrespirable. J’ai même commencé à lui chercher une maison », ajoute-t-il. L’ancien diplomate, devenu un contempteur du régime algérien, voit dans l’arrestation de M. Sansal une façon, pour Alger, de « tester la France » avec qui les relations sont gelées depuis que Paris a reconnu « la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental ».

L’entourage du chef de l’Etat a indiqué, jeudi, qu’Emmanuel Macron est « très préoccupé par la disparition » de l’écrivain et que « les services de l’Etat sont mobilisés pour clarifier sa situation », ajoutant que « le président de la République exprime son attachement indéfectible à la liberté d’un grand écrivain et intellectuel. »

Karim Amrouche, Mustapha Kessous et Nicolas Weill


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