Laurent Bouvet est auteur de « L’insécurité culturelle » (Fayard). 26 mars 2015
"A l’occasion du premier tour de ces élections départementales, la désunion entre les partis de gauche, pointée du doigt comme la raison majeure de la défaite, est patente. Elle n’est pourtant que le symptôme d’un mal bien plus profond et bien plus durable qu’une soirée électorale : l’impossibilité d’une gauche. Une double impossibilité : celle de désigner par un singulier l’ensemble disparate, voire irréconciliable, de visions du monde que ses composantes véhiculent ; celle pour ses partis et responsables de représenter désormais durablement une majorité de nos concitoyens. Comme si la position électorale quasi hégémonique acquise en 2012 – la gauche dominait alors toutes les institutions nationales et locales – avait masqué, pendant un court moment, la dépression qui couvait depuis des années ; sans doute depuis ce " 21 avril 2002 " jamais totalement digéré et réellement analysé.
N’y avoir vu qu’un simple accident électoral alors que les victoires locales puis nationales de la décennie qui a suivi ont été, elles, perçues comme le rétablissement d’une situation normale, a en effet constitué une erreur stratégique fondatrice. Cela n’a pas permis en tout cas aux différentes composantes de la gauche politique de se remettre en question et, de là, de proposer de nouvelles perspectives, une " nouvelle offre " politique en quelque sorte, aux Français. Durant ces dix dernières années, ce sont la transformation sarkozyste de la droite, l’enracinement du FN dans le paysage et la montée en puissance de l’abstention qui ont bouleversé la donne, pas les atermoiements de la gauche.
C’est finalement l’exercice du pouvoir, à travers les responsabilités, les contraintes et les difficultés, électorales notamment, qu’il induit, qui, comme souvent, force l’ensemble de la gauche à une réflexion sur les fractures idéologiques qui la parcourent. C’est désormais très net concernant l’orientation économique entre, d’un côté, l’ajustement budgétaire et la politique de l’offre sous contrainte européenne et, de l’autre, le maintien du culte de la dépense publique comme solution à la crise sociale. Ça l’est moins sur les questions dites de société à propos desquelles la ligne de partage du " progressisme " reste sinueuse en fonction des sujets abordés, de l’évolution des mœurs aux défis bioéthiques. Ça l’est devenu, plus clairement encore depuis les attentats du mois de janvier, en matière de républicanisme et de laïcité, notamment autour de la notion d’" islamophobie " comme nouvel avatar de l’antiracisme.
Cette clarification à marche forcée, au rythme de l’exercice du pouvoir, n’en est qu’à ses débuts faute d’avoir eu lieu assez tôt. Ce qui soulève un problème de taille, celui du public politique auquel elle s’adresse. Le " peuple de gauche " ne s’intéresse en effet qu’au résultat, c’est-à-dire au projet de société qu’on veut bien lui proposer, au-delà des postures et des manœuvres. Or, aujourd’hui, il se tient en réserve : réserve électorale, réserve de mobilisation et réserve de confiance. En raison, bien sûr, de la distance entre les promesses du Bourget et les actes depuis 2012, mais aussi, plus profondément, de la manière dont il est désormais traité, comme un simple agrégat d’électorats considérés comme plus ou moins acquis. La défiance idéologique se double d’une défiance sociologique.
Ainsi, depuis des années, la démarche politique qui consiste à bâtir, collectivement, un projet politique et à aller ensuite convaincre les Français d’y adhérer a-t-elle été totalement inversée. On a voulu, à rebours, partir d’électorats supposément homogènes (femmes, jeunes, " banlieues ", CSP +…) en leur proposant de communier dans un " progressisme des valeurs " aussi flou que fluctuant, dont la seule motivation était finalement de tenir à distance des " catégories populaires " jugées moralement perdues puisque compromises dans le vote conservateur, voire réactionnaire, pour le FN. Cette substitution d’une démarche prophylactique à la démarche pédagogique (pourtant centrale dans ce qui constitue historiquement la gauche) se paie depuis d’une défiance profonde et durable envers toutes les composantes de la gauche, gouvernementale comme " critique ".
Cette défiance vis-à-vis de l’ensemble de la gauche est aussi, ultimement, le résultat d’une illusion, entretenue par toute une génération de ses dirigeants : celle que les choses finissent toujours, en politique, par s’arranger, au gré des aléas de la conjoncture ou des nécessités de l’Histoire. Leur carrière politique, longue et bien remplie, ne saurait pour autant masquer l’ampleur de leur responsabilité et de leur échec. Il ne faudrait pas, en tout cas, qu’une telle attitude empêche la possibilité, à nouveau, d’une gauche. C’est l’un des enjeux majeurs des années qui viennent."
Lire « Le PS fait face à la défiance sociologique de son électorat ».
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