Revue de presse

L. Bouvet : "La société du spectacle permet de mener une carrière avec pour seul argument sa couleur de peau, son genre, sa foi…" (lefigaro.fr/vox , 6 sep. 18)

Laurent Bouvet, professeur de science politique, cofondateur du Printemps républicain. 9 septembre 2018

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

[Dans une chronique sur lemonde.fr, Hamidou Anne relève "la constance avec laquelle le philosophe Raphaël Enthoven, l’essayiste Laurent Bouvet et le préfet Gilles Clavreul (ces deux derniers étant membres du Printemps républicain) attaquent Rokhaya Diallo. De manière quasi quotidienne, avec une obsession qui frise la pathologie, ces hommes blancs, intellectuels médiatiques, la livrent en pâture à leurs « followers ». Ils savent qu’ils peuvent agir de la sorte sans devoir se justifier, surtout dans une période de libération de la parole raciste et d’excitation du phénomène identitaire" (note du CLR).]

"[...] Je suis en effet quotidiennement accusé ainsi, de racisme notamment, insulté, pris à partie et même menacé, sur les réseaux sociaux, comme les autres personnes citées dans cet article d’ailleurs (Gilles Clavreul et Raphaël Enthoven). Twitter en particulier est devenu le déversoir d’une haine le plus souvent anonyme évidemment, sans aucun filtre. Tout est permis visiblement, surtout lorsque l’on est cet « homme blanc » dénoncé par l’auteur de l’article. L’essentialisation, caractéristique du racisme, est clairement de ce côté. Ce qui est problématique, c’est que de telles accusations de racisme ou de harcèlement, vis-à-vis de Rokhaya Diallo comme d’autres personnalités emblématiques de cette mouvance identitaire indigéniste et décoloniale (j’emploie les termes dont elle s’affuble elle-même), sont désormais relayées par des médias traditionnels, ou du moins par certains de leurs journalistes qui ne font plus de différence entre leur métier et leur militantisme politique ou associatif.

Enfin, sur le fond, quiconque se soucie des faits peut constater que si j’accepte volontiers le débat public et donc de dire clairement les choses (en particulier sur les dérives identitaires de cette mouvance indigéniste et décoloniale qui se prétend antiraciste alors qu’elle développe des thèmes et des pratiques racialistes voire clairement racistes), je ne harcèle personne. Débattre et harceler, ce n’est pas la même chose. Et je ne critique pas Rokhaya Diallo à raison de ce qu’elle est, de la couleur de sa peau, de sa religion ou de son genre, mais de ce qu’elle dit. Et je le fais de la même manière avec quiconque tient les mêmes propos. L’accusation de racisme pour répondre à la critique dans un débat public est aussi indigne qu’absurde. Si je suis le raciste que décrit l’auteur de cette tribune, alors qu’il me traîne en justice. Le racisme est un délit pénal et je suis pour sa répression, sans exception. [...]

Qui développe et fait prospérer dans le débat public les thématiques identitaires ? Ceux qui ne cessent, comme le fait Rokhaya Diallo, de mettre à toutes les sauces la « race », qu’il s’agisse de la couleur des pansements, de la texture des cheveux, de la présence insuffisante de telle ou telle couleur dans les médias, les entreprises, etc.? Ou ceux qui défendent dans le débat public un humanisme universaliste certainement pas aveugle aux discriminations de toutes sortes mais soucieux de construire un espace commun dans lequel elles sont combattues par une véritable égalité des droits plutôt qu’une différenciation selon l’origine, la couleur de la peau, la religion, etc.? [...]

La société du spectacle permet en effet à certains de mener une carrière (très) confortable en ayant pour seul argument sa couleur de peau, son genre, sa foi religieuse… Et la victimisation permanente qui va avec mais cela ne fait avancer ni la lutte collective contre les discriminations ni, évidemment, la construction d’un « commun » mis à mal de toutes parts. [...]

La différence, fondamentale, entre l’humanisme universaliste et l’identitarisme différentialiste. Pour le premier, une « femme noire » est d’abord et avant tout un être humain qui doit disposer des mêmes droits et de la même dignité qu’un « homme blanc » en toutes circonstances ; pour le second, un « homme blanc » est toujours déjà coupable, alors qu’une « femme noire » est par « essence » une victime - sauf évidemment si elle tient absolument à adopter une position humaniste universaliste… Dans ce cas, elle sera vite traitée de « bounty » (noire dehors mais blanche dedans !) ou de « négresse de maison » par tous les fans anonymes que l’on évoquait plus haut. [...]

Je ne pense pas que Rokhaya Diallo soit « utile à l’antiracisme moderne ». Pour au moins trois raisons.

D’abord parce qu’elle me semble plus préoccupée de sa carrière que de quoi que ce soit d’autre, notamment d’une action collective suivie contre le racisme. L’antiracisme me semble s’assimiler pour elle à un créneau professionnel, un secteur d’activité dont elle tire des revenus. Ce que je ne critique pas en soi mais il ne faut pas alors prétendre servir une cause qui dépasse sa propre personne.

Ensuite parce qu’elle n’inscrit pas son « engagement » dans une perspective cohérente d’un point de vue politique et théorique. En fait, elle pratique une sorte de « en même temps » : ainsi, par exemple, se réclame-t-elle à la fois des grandes figures de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis mais aussi de celles du gauchisme différentialiste qui ont critiqué très durement les grandes figures des droits civiques. Ce qui témoigne au mieux d’un pragmatisme décontracté, au pire d’une absence totale de culture politique.

Enfin parce que l’antiracisme n’est efficace - c’est l’histoire récente qui nous l’enseigne aux États-Unis comme en France - que lorsqu’il est le résultat d’une mobilisation commune de tous, sans aucune considération préalable de « race » ou d’origine.

Mettre de côté les « blancs » en expliquant qu’ils ne peuvent pas comprendre le racisme parce qu’ils ne le subissent pas ou qu’ils sont de toute manière les héritiers aujourd’hui encore des crimes historiques de l’esclavage et de la colonisation, cela n’a jamais fait avancer l’antiracisme, bien au contraire.

Dit autrement, l’antiracisme ne peut s’accommoder d’un quelconque essentialisme, comme il ne peut être que le résultat d’une action collective et qu’il ne peut donc pas dépendre de la promotion de figures médiatiques qui n’ont souvent pas pu faire carrière ailleurs, pas plus qu’il ne peut être incohérent politiquement et théoriquement. C’est là le drame de l’antiracisme en France depuis les années 1980, en partie au moins."

Lire "Accusation de racisme contre Rokhaya Diallo : la réponse de Laurent Bouvet".



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