Revue de presse

L. Bouvet : "Crier “No pasarán !” ne suffit plus" (Le Monde, 9 déc. 15)

Laurent Bouvet, universitaire, auteur de "L’insécurité culturelle" (Fayard). 9 décembre 2015

"Les mantras anti-FN et la culpabilisation morale de ses électeurs ont fait leur temps. La gauche gouvernementale doit retrouver le sens du peuple.

Le paysage électoral de la gauche au lendemain de ce premier tour des élections régionales ressemble à un champ de ruines. Quelques vestiges de la domination locale du PS, établie dans les années 2002-2012, subsistent bien ici et là, mais ils ne trompent personne. Les défaites à répétition aux élections municipales, départementales et, aujourd’hui, régionales ont mis à bas l’empire électoral bâti pendant une décennie sur les décombres de la déroute présidentielle de 2002. A gauche, le PS domine ce paysage dévasté. Aucun autre parti n’étant en mesure de lui contester cette prééminence. Le résultat de dimanche témoigne, d’ailleurs, de son maintien relatif au regard de ses alliés traditionnels écologistes et de la " gauche de la gauche ".

A l’effondrement des Verts répond, en effet, la faiblesse du score du Front de gauche, aucun de ces partis n’étant susceptible de représenter une alternative au PS. Cette situation électorale objective se double d’une situation particulière : l’installation en profondeur du FN dans le paysage. Le fait que ce ne soit pas la droite qui bénéficie de l’affaiblissement de la gauche ne devrait pas rassurer le PS, tant la dynamique frontiste s’exerce au détriment de l’ensemble des forces politiques, que ce soit électoralement ou en termes de thématiques qui structurent le débat public. Au-delà des circonstances particulières dans lesquelles se déroule cette élection et dont il est difficile de connaître l’impact, ce premier tour n’a fait que confirmer des tendances lourdes déjà observées lors des scrutins précédents.

A gauche, notamment au PS, trois éléments récurrents sont amplifiés depuis dimanche : la proclamation d’une unité sans réalité politique ; le déchirement durable de son tissu local ; l’échec historique de sa stratégie de lutte contre le FN. A peine les premiers résultats connus dimanche soir, l’appel à l’unité de la gauche a retenti sur les plateaux de télévision et dans les QG des candidats. Une unité bien vite et automatiquement intégrée dans l’analyse du premier tour comme dans la projection du second par nombre de responsables socialistes. Au prix d’une double illusion, politique et électorale. La gauche est divisée, que ce soit sur l’orientation économique du gouvernement ou sur les questions de sécurité. L’incapacité de la " gauche de la gauche " à faire fructifier son opposition au PS dans les urnes rendant de moins en moins audible l’idée d’une orientation " plus à gauche " de la politique nationale. Il n’est ainsi pas certain que les électeurs suivent pour le second tour les consignes de vote d’états-majors éloignés du terrain local et décrédibilisés. Les reports pourraient s’avérer moins automatiques que prévu, malgré l’appel concomitant à " faire barrage " au FN. Les défaites de la gauche depuis 2012 conduisent à son effacement quasi total dans certains endroits du pays et, plus largement, au déchirement de son tissu militant et sympathisant. C’est le cas pour le PS, qui avait très étendu celui-ci depuis dix ou quinze ans. Ce ne sont pas seulement des élus qui disparaissent lors d’une défaite électorale, mais tout un ensemble de collaborateurs, de relais, d’affidés, de réseaux parfois anciens et structurant la vie sociale bien au-delà de la politique stricto sensu, comme dans le cas emblématique du Nord-Pas-de-Calais, par exemple. La décision de retirer les listes dans certaines régions au nom de la lutte contre le FN aura ainsi de lourdes conséquences, surtout lorsque le conseil régional était le dernier point d’appui du PS et de la gauche locale. La disparition de la plupart des cadres politiques et des moyens matériels qui les accompagnent n’augure rien de bon pour la suite, que ce soit en termes de combat politique ou de mobilisation électorale.

Ce reflux est aussi le résultat d’un échec : celui de la lutte contre le FN depuis trente ans. Toutes ces années de " mobilisation " pour faire " barrage " à l’extrême droite ont abouti à ce que ce parti soit, seul, sans besoin d’aucun allié, aux portes du pouvoir dans plusieurs régions, et surtout que sa candidate pour 2017 apparaisse comme la seule bénéficiant d’une authentique dynamique politique. Cet échec historique n’a jamais eu de véritables conséquences sur le PS. Les mêmes responsables qui ont imaginé ou endossé une stratégie anti-FN défaillante sont toujours aux commandes, quel que soit son résultat. Jusqu’ici, l’enjeu paraissait virtuel ; le FN servant surtout à faire peur aux électeurs et à empêcher la droite de gagner ici ou là. Il est aujourd’hui bien réel : le FN peut gagner et bénéficier à son tour des ressources des autres partis.

La répétition des mêmes mantras anti-FN et la culpabilisation moralisatrice de ses électeurs ne fonctionnent plus pour l’empêcher d’accéder au pouvoir. C’est donc à un changement stratégique radical, rapide et profond que la gauche française, PS en tête, doit s’atteler, si elle veut survivre et renaître. Crier " No pasarán ! " ne suffira pas. Ce changement stratégique devra s’accompagner d’une réflexion approfondie sur les causes culturelles et identitaires de la montée en puissance du FN, au-delà des habituelles considérations sur la politique économique des gouvernements de gauche."

Lire « Face au FN, crier “No pasarán !” ne suffit plus ».


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