L’Aurore

L’Aurore G. Clavreul : "Réunions en non-mixité : ne pas justifier l’injustifiable" (L’Aurore, 29 mars 21)

29 mars 2021

[Les échos des initiatives proches sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"[...] Ces réunions ne sont pas n’importe quel rassemblement affinitaire, contrairement à ce qu’une lecture relativiste – et surtout confusionniste - laisse croire. Que les groupes sociaux tendent à se définir par des critères qui leur sont propres, quitte à « fermer la porte derrière eux », n’a rien de nouveau : c’est le cœur de l’analyse sociologique que d’expliquer de telles logiques. Elles ne sont pas forcément délétères par elles-mêmes : le principe même de la liberté d’association est de se regrouper par affinités, sans avoir à respecter d’autres restrictions que celles posées par la loi.

Reste que, dans tous ces cas, l’homogénéité existe de facto : elle est très rarement une règle (il y a des exceptions, comme ces clubs masculins qui, à l’image de l’Automobile Club de France, sont une survivance, la relique d’un temps révolu), et dans l’immense majorité des cas elle est la résultante des relations sociales et des affinités culturelles (langue, origine, pratique religieuse, etc.) qui unissent ses membres.

Les rassemblements non-mixtes nous disent tout autre chose : l’homogénéité n’y est ni incidente, ni accessoire ; elle est leur objet même et leur raison d’être. L’entre soi n’est pas la résultante de la pratique, il est la pratique elle-même. Et pour cause : ils sont essentiellement – et leurs instigateurs y tiennent – des initiatives politiques. Ce qui les distingue, non seulement des associations classiques, mais également des groupes de paroles à vocation thérapeutique, ou destinés à protéger les victimes et à leur permettre de s’exprimer sans crainte. [...]

Là où les femmes ne peuvent être que victimes du machisme et non pas auteurs (la violence d’une femme envers une autre femme peut recevoir bien des noms, mais pas celui de machisme), on peut très bien être à la fois appartenir à un groupe « racisé », et être raciste soi-même. De ce fait, alors qu’une réunion féministe non mixte ne peut accueillir de machistes, une réunion « racisée » est fermée à un antiraciste blanc, mais ouverte à un suprémaciste noir. Curieux atelier de lutte contre le racisme…

Deuxième problème : ces réunions ne sont pas seulement, comme on l’a dit, des groupes de paroles ou des ateliers, mais des rassemblements militants, par exemple un carré « racisé » au sein d’une manifestation, ou un événement se déroulant sur une journée entière. L’objet n’est donc plus d’éviter que des « agresseurs potentiels » (puisqu’il y a des victimes potentielles…) viennent perturber la prise de parole : il s’agit bien d’exclure certaines catégories de personnes d’un rassemblement public, sans crainte particulière ni motif valable prévu par la loi. Là, on entre bien dans le champ de la discrimination au sens pénal. On comprend mieux pourquoi les décoloniaux et autres militants intersectionnels, d’ordinaire si procéduriers, n’entrent pas volontiers sur le terrain juridique. [...]

Troisième problème : mettre sur le même plan réunions féministes, réunions LGBT+ et réunions « racisées » n’a pas de sens. Non pas, bien entendu, parce que ces différents groupes ne subiraient pas le même type ni le même niveau de violence ou de discrimination : racisme, sexisme ou homophobie, toutes les discriminations se valent, et la loi les réprime toutes de la même manière.

En revanche, il y a une différence irrécusable : c’est qu’autant on sait à peu près dire ce qu’est un homme et ce qu’est une femme, autant il n’existe aucune définition solide – et pour cause – de ce qu’est un « blanc » et de ce qu’est un « racisé » ou un « non-blanc » puisque tels sont les critères, totalement subjectifs et arbitraires, qui déterminent qui a vocation à participer à ces réunions, et qui n’a pas le droit d’en faire partie. Exemples simples : les Juifs, les Tsiganes, sont-ils « blancs », et donc interdits de réunion ? Il semble pourtant difficile d’ignorer qu’ils sont en proie au racisme ! Un Français d’origine espagnole ou sud-américaine ? Il sera sans doute identifié comme blanc, mais pas forcément aux Etats-Unis où, parmi les « Latinx », comme on les appelle désormais, certains se considèrent comme « blancs » et d’autres non. A l’inverse, un Maghrébin sera invariablement catégorisé « racisé » en France ; aux Etats-Unis, si l’on s’en réfère au National Census, il est blanc.
En d’autres termes, ce qui invalide à coup sûr ces réunions non mixtes « racisées », c’est tout simplement que la « race » est une notion totalement arbitraire, que la définition des groupes varie dans le temps et d’un pays à l’autre en fonction des stéréotypes communs et du travail militant exercé au sein des minorités. Or, il n’y a aucune raison pour que quiconque, militant ou scientifique, s’arroge le droit de définir les contours de quelque groupe « racial » que ce soit. C’est d’ailleurs en raison de ce caractère flou et arbitraire que le Conseil Constitutionnel avait déclaré inconstitutionnelles les statistiques fondées sur la « race » et « l’ethnie ». Le droit, là encore, fixe des bornes raisonnables à l’expression désordonnée et virulente de revendications qui se prétendent des droits, et qui n’en sont pas. En vérité, il ne s’agit plus seulement de pratique discriminatoire, mais bel et bien de racisme, au sens le plus fort de l’expression. [...]"

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