Revue de presse

Kamel Daoud : "La dangereuse jonction du djihadisme et du décolonialisme" (Marianne, 7 nov. 24)

(Marianne, 7 nov. 24). Kamel Daoud, écrivain, Prix international de la Laïcité 2020 12 novembre 2024

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Kamel Daoud : "La dangereuse jonction du djihadisme et du décolonialisme"

Par Kamel Daoud

Une guerre pour l’indépendance ou pour l’islam ? En Algérie, la question est désormais abordée par un puissant révisionnisme d’origine islamiste et portant sur le récit décolonial algérien. Comment ce mouvement, encore invisible en France, l’affecte-t-il déjà ? Déplions l’effet domino par une question : que reste-t-il de la mémoire française sur la guerre d’Algérie ? Silences, amnésies, malaise, malentendus et douleur.

En France, ce récit liant la France et l’Algérie s’est construit à travers le prisme des élites décolonisées qui y sont installées. Pour la gauche décoloniale maghrébine, la guerre est une épopée des passions pluralistes, un mouvement sublimé, international et antioccidental. On brandit à tout-va Frantz Fanon ou le film la Bataille d’Alger, une fiction devenue autofiction. Or cette lecture ne considère pas la dimension religieuse de la guerre de décolonisation : c’est l’erreur commise, en psychiatre athée, par Fanon. Passons.

Aujourd’hui, camouflés derrière la barrière linguistique, les islamistes diffusent un révisionnisme dont l’objet est la guerre d’Algérie : celle-ci devient dans leur récit, largement diffusé, un djihad contre une France coloniale et chrétienne. Est-ce étonnant ou sans importance face à la réalité historique ? Non, et c’est même plutôt ingénieux : ce faisant, les islamistes font oublier qu’ils n’ont pas combattu pour l’indépendance et qu’ils n’ont pas la légitimité guerrière du régime algérien. En Algérie, leur bilan est effroyable, c’est celui d’une guerre civile qui a fait environ 200 000 morts sur dix ans. Alors, comment dissimuler un tel crime contre l’humanité ? En renforçant, en redoublant la demande d’excuses à la France et en réécrivant l’histoire algérienne. Une guerre peut-elle en cacher une autre ? Oui.

Outil macabre en France et en Algérie

Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux et à leur force de frappe médiatique, les islamistes ont réussi à créer une histoire de la guerre d’indépendance algérienne falsifiée. À les écouter, les théologiens algériens auraient lancé la guerre, alors qu’en vérité, initialement, ils y étaient réticents. Cette nébuleuse de conservateurs que sont les ulémas et les Frères musulmans est aujourd’hui devenue un acteur clé de la prise de décision politique dans un régime sans outils pour réglementer les croyances. Elle sert aussi de vitrine à un récit qui a transformé la guerre d’indépendance en guerre religieuse. Et son fondateur est devenu une sorte de Che Guevara, l’islamisme en plus.

Il y a quelques jours, un journaliste émérite d’un quotidien arabophone de Londres a écrit un éditorial percutant dans lequel il affirme que « la guerre d’indépendance ne s’est pas livrée contre les Français, mais contre le système colonial ». Dans son texte, intitulé « Le 1er novembre 1954 : pour le pays ou pour la religion ? », l’auteur rappelle que des juifs, des catholiques et des laïques français avaient rejoint les rangs du FLN. Réalité historique qui fait peu de place aux islamistes, qui s’emploient donc à réécrire cette histoire souvent faussée et contrefaite : l’occasion de se donner une légitimité et d’attirer, à peu de frais, les jeunes générations désenchantées. Et voilà que l’histoire algérienne se transforme en épopée djihadiste, antisémite, antifrançaise, antimodernité et antidiversité.

Quel impact cela aura-t-il sur la France ? La jonction du djihadisme et du décolonialisme est une idée des islamistes maghrébins pour enrôler en masse en France parmi les communautaristes et parmi les musulmans maghrébins. Ce révisionnisme algérien va devenir l’engrais des récupérations politiques radicales que l’on reconnaît déjà aujourd’hui dans la fascination qu’exerce l’islamisme chez certains partis politiques de la gauche française. En France aussi, ce révisionnisme djihadiste sera un outil macabre.


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