Note de lecture

Jonathan Coe : La révolte de la classe moyenne britannique (G. Casel)

par Gilles Casel. 8 janvier 2020

[Les échos "Culture (Lire, entendre & voir)" sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Jonathan Coe, Le Cœur de l’Angleterre, Gallimard, 2019, 560 p., 23 e.

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Avertissement : Le Cœur de l’Angleterre est un roman qui se situe dans le prolongement de Bienvenue au Club et de sa suite, Le Cercle fermé, du même auteur. Pour aborder son sujet : l’Angleterre dans la période du « Brexit », l’auteur « ressuscite la distribution » de Bienvenue au Club et revient, discrètement il est vrai, sur l’amour de Benjamin et de sa sœur Loïs qui, anticipant les résultats du « Brexit », achètent, pour tous les deux, une propriété en France.

D’avril 2010 à avril 2018, mois par mois, nous suivons la vie d’une trentaine de Britanniques, des Anglais en fait, formant un entrelacs de courtes sagas. Ils sont blancs ; sauf exception, ils appartiennent à la classe moyenne supérieure et cultivée, revendiquent cette catégorisation sociale et se sentent les dépositaires du patrimoine immatériel de la vieille Angleterre ; ils ne supportent pas (plus ?) d’être ignorés par les dirigeants politiques du pays. Enfin, ils sont décidés, faute de mieux, à voter pour les conservateurs et David Cameron : certainement pas, « alternative impensable », pour le Labour.

Méfiance vis-à-vis de tous les dirigeants politiques

Héléna, femme d’origine populaire, dont son âge, explique-t-elle, lui permet « de tout dire », explique qu’elle a voté, « bien sûr », pour monsieur Cameron, mais qu’à vrai dire, il connaît « aussi mal notre façon de vivre » que ses opposants. Ils sont tous du même côté finalement. Et ce côté, ce n’est pas le nôtre…. Mais quand viendra l’heure de lui dire ce que nous pensons, croyez-moi, nous le dirons.

Amorce de contestation du communautarisme

C’est une ambiance : les émeutes de novembre 2018 ont pour origine un tir mortel contre un Noir et le refus des pouvoirs publics de communiquer avec sa famille [1].

Doug, le journaliste, diagnostique entre autres, « l’échec de notre politique raciale. »

La collègue, noire, de Ian est nommée au poste de direction qu’il convoitait ; rien ne prouve qu’elle ait été favorisée, par principe, du fait de ses origines, mais la suspicion est tenace - Héléna, mère de Ian, pense que la vie de son fils est gâchée par une injustice évidente, commise au nom du « politiquement correct ». Ian dit à sa femme, Sophie : Ce que tu appelles finalement le respect des minorités, consiste au fond à faire un doigt d’honneur aux autres. 

La tyrannie » insoutenable du « politiquement correct » :

Pour les uns - dont Héléna -, la loi votée par le Labour interdisant la chasse à courre des renards, c’est déjà du « politiquement correct » ! Ce détournement de l’expression trahit une intense frustration conservatrice. Sophie reprochera à Ian de n’avoir que cette expression à la bouche alors « qu’elle n’est pas sûre qu’il sache ce qu’elle signifie ».

La carrière universitaire de Sophie, spécialiste d’histoire de l’Art et sur le point de se faire un nom, est détruite suite à l’accusation d’une étudiante. Sophie ayant dit à Emily, une élève « trans »… qu’elle était longue à prendre une décision (concernant ses études), la gente universitaire estimera, avec la dénonciatrice, une enfant gâtée de la bourgeoisie, que cette remarque était la stigmatisation d’une étudiante qui mettait un certain temps décider de l’opération devant la faire changer définitivement de sexe ! Les cours de Sophie seront suspendus alors que la présumée victime ne s’était pas portée partie prenante à l’accusation…

Ce « politiquement correct » nous vient des campus des Etats-Unis, mais le « politiquement correct », c’est aussi l’obéissance aux lois de l’Europe.

Le politiquement correct, c’est encore le respect des communautés.

Tel est la tyrannie du « politiquement correct ».

Le nationalisme

Presque tous les protagonistes du récit ont la même passion empreinte de sentimentalisme pour leur « Vieille Angleterre ».
Pour remporter les élections législatives de 2015, David Cameron soufflera sur le brasier du nationalisme, ce cheval de bataille dont il perdra la maîtrise, comme on le sait, en 2016. 

Jonathan Coe propose l’image d’une classe moyenne s’identifiant à l’Angleterre, scandalisée par le peu d’égards qu’on lui témoigne, réticente envers l’immigration (on est pleins à craquer, dira Ian) ; incapable aussi d’affronter les choix auxquels elle est confrontée : Europe ou Etats Unis ? Néo-libéralisme ou Etat-Providence ? Impuissante à stopper le délitement de tout, dit Charlie.

Je testais l’idée d’un « roman sur le Brexit » : Jonathan Coe, pour mettre en œuvre cette idée, relate les vies de personnes emblématiques de la classe moyenne, qui en expriment la diversité. Chaque personnage du microcosme décrit est très dépendant du politique : néo-libéralisme, communautarisme, austérité… tous ces aspects qui conduisent à la frustration et au nationalisme.

Aucun des protagonistes ne milite, ni envisage de militer dans un parti ou un syndicat.

Comme on parle d’un « roman historique », Le Cœur de l’Angleterre pourrait être qualifié de « roman sociologique ». Le Cœur de l’Angleterre fait partie de cette catégorie d’œuvres littéraires à laquelle les historiens ou socio-historiens se réfèrent, à l’instar, en France et toutes proportions gardées, de La Comédie humaine, des Rougon- Macquart, ou encore, de L’Education sentimentale

Gilles Casel

[1Mais ce ne sont pas des émeutes raciales, tant s’en faut, qui naissent, non seulement à Londres, mais aussi à Birmingham et dans d’autres grandes villes.


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