Jean Glavany, ancien ministre, auteur de "La laïcité, un combat pour la paix" (éd. Héloïse d’Ormesson). 9 janvier 2018
Les récentes déclarations du Président de la République devant les "autorités religieuses" reçues à l’Elysée en fin d’année, selon lesquelles, d’une part il y aurait un "risque de radicalisation de la laïcité " et, d’autre part "C’est la République qui est laïque, la société n’a pas à l’être" doivent d’abord être prises avec prudence. À ma connaissance, ces propos n’ont pas été tenus publiquement et ils n’ont pas été authentifiés par l’Elysée. Ils ont été rapportés par les autorités religieuses en question et ça n’est pas leur faire injure que d’imaginer qu’en la circonstance, il est dur de résister à la tentation de ne répéter que ce qui vous convient. Attendons le "vrai" discours sur la laïcité qu’on nous annonce pour bientôt pour juger des convictions du Président sur le sujet, convictions qu’il n’a guère eu l’occasion, ou la volonté, de dévoiler réellement depuis qu’il est élu ou même avant...
Mais elles doivent être prises aussi pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire la position d’un courant de pensée qui s’exprime régulièrement et officiellement par certains responsables et en particulier par le Président de l’Observatoire de la laïcité, qui s’est d’ailleurs publiquement réjoui de ces déclarations sans la moindre prudence quant à leur authenticité. L’enthousiasme d’un auteur si heureux d’être ainsi repris ?
Dans le cadre de cette prudence et de cette lucidité nécessaires, et pour relever l’argument du risque de radicalisation de la laïcité, je pose ingénument cette question : LA RADICALISATION DE LA LAÏCITÉ , COMBIEN DE MORTS ?
Car on ne peut pas imaginer une seconde qu’aient été évoqués ce risque et ce mot, " radicalisation " sans qu’il soit mis en parallèle avec la radicalisation religieuse, les radicalisations religieuses, celles qui sont au cœur de bien des débats de l’actualité, par le terrorisme notamment mais pas seulement, et qui ont fait et font encore tant de morts qu’ils se comptent par milliers, centaines de milliers, millions, depuis des siècles.
Oui, pourquoi parler de "radicalisation" de la laïcité si ce n’est pour envisager cet invraisemblable parallèle ?
Alors affrontons le débat et demandons combien la radicalisation de la laïcité a fait de morts dans notre histoire. Je suggère même aux autorités de l’Etat de passer cette commande à l’Observatoire de la laïcité : faire réaliser une étude sur les victimes de la radicalisation de la laïcité.
On lui chuchote la réponse : La facilité de la démonstration serait de répondre "zéro" mais la rigueur historique devrait nous pousser à répondre : un mort, tout au plus.
Oui, un mort en 1906. Un mort dans une église parce qu’il s’opposait aux inventaires. Un mort qui provoqua aussitôt la réaction claire et nette de Clemenceau arrêtant le processus des inventaires avec ce commentaire : "Connaître le nombre de cierges dans les églises ne vaut pas la mort d’un homme."
Un mort en tout et pour tout en un siècle.
Revenir sur cet épisode serait d’ailleurs, pour l’Observatoire, une très utile occasion pour lui de découvrir - enfin ! - qu’à cette époque, après un dur combat dans le camp laïque, entre les hommes de liberté derrière Briand et Jaurès - ou Clemenceau - et ceux qui voulaient, avec Combes, régler leur compte aux religions, certains voulant même les "interdire", ce sont les premiers qui l’ont emporté et ont imposé une loi de liberté, la loi de séparation des églises et de l’Etat, qui affirme et garantit ce qui est sans doute la plus belle des libertés, la liberté de conscience. Les républicains ayant écarté alors, par la loi, le risque de radicalisation laïque, pourquoi envisager le retour aujourd’hui de ce qui n’a jamais existé dans la République ? Y aurait-il, dans le paysage politique français, des républicains dignes de ce nom qui voudraient interdire les religions ? Ou leur interdire la libre expression ou la libre pratique ?
Quant à cette fameuse distinction "C’est la République qui est laïque, la société n’a pas à l’être", toujours aussi bruyamment applaudie par l’Observatoire - les plus attentifs auront noté que son Président avait déjà employé l’expression à plusieurs reprises ces dernières années... -, elle ne peut laisser que songeur et dubitatif.
Je ne veux pas jouer au professeur de droit constitutionnel mais tout de même. Que dit la première phrase de l’article premier de notre Constitution ?
"La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale" [1]
Donc, si nous lisons bien, notre pays, la France, est une République laïque. Dans ces conditions, pourquoi avancer cette affirmation complémentaire et bien peu constitutionnelle selon laquelle "La République est laïque, la société n’a pas à l’être" ? On n’imagine pas que derrière cette formule fabriquée par un mauvais communicant se cacherait une distinction "sociologisante" entre la France et la société française, bien peu recevable. Car si cette idée prévalait, cela signifierait que la société française peut et doit se construire sur des bases communautaristes. L’organisation de la société différerait des règles républicaines ?
Soyons indulgent, toujours faute d’inventaire : a minima, c’est maladroit.
On voit bien ce que le Président a peut-être voulu dire et aurait dû dire plus clairement : "Dans la République laïque, c’est l’Etat qui est neutre, les membres de la société ne le sont pas", mais ça n’est pas exactement la même chose.
Voilà pourquoi on ne peut pas en rester là. Voilà pourquoi le discours du Président sur le sujet laïque est tant attendu pour dire, enfin, combien de massacres la laïcité a évités.
Jean Glavany,
ancien ministre,
auteur de La laïcité, un combat pour la paix (Éditions Heloïse d’Ormesson).
[1] Voir Constitution de la Ve République (4 octobre 1958) (note du CLR).
Voir aussi J.-P. Sakoun : "Nous attendons d’Emmanuel Macron que le pilier de la laïcité soit soutenu et renforcé" (France Inter, 6 jan. 18), E. Macron : On a trop vite inféré "de cette neutralité de l’Etat une absence" (elysee.fr , 4 jan. 18), C. Kintzler : « La République est laïque, mais non la société » : des propos mal ficelés (mezetulle.fr , 29 déc. 17), Y. Quiniou : "Dire que « la société n’est pas laïque » est une formule illégitime" (Le Monde, 29 déc. 17), "La laïcité n’est ni radicale, ni une menace pour la France" (F. Boudjahlat, C. Pina, C. Valentin, B. Lefebvre, W. al-Husseini, marianne.net , 28 déc. 17), "La laïcité, combien de morts ?" (J.-M. Bouguereau, larepubliquedespyrenees.fr , 23 déc. 17), "Monsieur le Président, il n’y a pas de risque de radicalisation de la laïcité" (A. Meguini, laicart.org , 23 déc. 17), "Devant les chefs religieux, Emmanuel Macron dénonce une "radicalisation de la laïcité"" (AFP, nouvelobs.com , 22 déc. 17), J.-L. Bianco (président Observatoire de la laïcité) : "Je ne crois pas que la laïcité soit en danger" (publicsenat.fr , 27 nov. 17), Jean-Louis Bianco (président Observatoire de la laïcité) : "La France n’a pas de problème avec sa laïcité" (Le Monde, 26 juin 13), Patrick Kessel : "Les propos de Jean-Louis Bianco n’engagent que lui" (25 juin 13), les Communiqués de J. Glavany, P. Kessel et F. Laborde (Observatoire de la laïcité), la rubrique Observatoire de la laïcité, C. Kintzler : “La laïcité face au communautarisme et à l’ultra-laïcisme” (mezetulle.net , 14 oct. 07) (note du CLR).
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales