Revue de presse

J.-F. Colosimo : « Bianco a tourné l’Observatoire de la laïcité en une officine d’agréable fréquentation pour salafistes » (lopinion.fr , 1er fév. 16)

Jean-François Colosimo, spécialiste du fait religieux. 5 février 2016

"Pour Jean-François Colosimo, après SOS-Racisme et les lois mémorielles, l’heure a été à la compétition identitaire puis victimaire. L’Etat est totalement confus sur le sujet depuis l’« affaire du voile à l’école » de 1989. Sa faiblesse laisse présager d’une période de guerre civile « à basse intensité » marquée par une insécurité culturelle et religieuse.

Comment expliquez-vous la confusion qui règne aujourd’hui sur la place de la religion dans notre société ?

La France est aveugle sur le fait religieux. Elle s’est infligé cette infirmité en l’excluant de son enseignement, de sa vie politique et de sa vision géopolitique. En 1989, le pays des Lumières a pensé que le monde et l’histoire lui donnaient enfin raison. Faux. La véritable rupture était advenue une décennie plus tôt, en 1979. Cette année-là est celle de toutes les premières fois. Khomeiny rentre en Iran pour fonder la République islamique tandis que Brejnev décide d’envahir l’Afghanistan où le jihad va stopper l’expansion jusque-là inexorable du communisme. Le pape Jean-Paul II se rend en Pologne où les manifestants brandissent des icônes contre les tanks tandis que Ronald Reagan gagne l’investiture républicaine grâce aux évangéliques de retour dans le jeu électoral. Et le Bloc de la foi accède au parlement israélien tandis que les frères musulmans créent une université coranique à Gaza. Le monde bascule et la France reste immobile, assise sur sa certitude idéologique d’incarner le progrès.

Que devient la laïcité dans un tel contexte ?

La notion même est devenue incompréhensible car on confond les ordres : le substrat de l’imaginaire, la configuration de la société, le fonctionnement de l’État. Aux États-Unis, l’imaginaire est protestant, la société consumériste et les Églises séparées de l’État mais pas l’État de Dieu, selon l’équation de la religion civile américaine. En Europe, la Suède n’a renoncé au luthéranisme comme religion d’État qu’en 1999, mais le catholicisme reste la « confession préférentielle » de l’Autriche tout comme, en Angleterre, la Reine demeure le chef de l’Église anglicane. En Turquie, déclarée « laïque » par sa constitution, qui est musulmane par son peuple et islamiste par son parlement, le gouvernement administre directement mosquées et imams. La laïcité est une singularité française.

Quelle définition théorique en donneriez-vous ?

La laïcité n’est pas une théorie, n’a pas de contenu, n’emporte pas de militantisme. C’est le mode de fonctionnement de l’État souverain, issu des guerres de religion qui ont failli anéantir le pays et qui n’entend pas laisser aux religions le soin de faire la loi. En cela, elle constitue un trait d’union entre la Monarchie et la République : la liberté de culte est assurée par la police des cultes qui veille à ce que des communautés de conviction qui seraient autrement centrifuges participent du pacte national en neutralisant leurs inévitables antagonismes, autrement radicaux. C’est, si l’on veut, une nationalisation du fait religieux par acculturation au fait politique.

Quels en sont les principes fondateurs ?

Trois principalement. Le premier, que tout citoyen est en prise directe avec l’espace public, sans la médiation d’une quelconque instance collective, quand bien même il la considérerait sacrée. Le deuxième, que tout argument révélé est prohibé dans le débat public qui se fonde sur la raison commune. Le troisième, que les signes ostentatoires sont proscrits de l’espace public qui doit rester un espace partagé. Autrement dit, l’État politique ne se mêle pas de théologie mais il demande aux théologiens de ne pas céder à la tentation théologico-politique – celle-là même qui, désormais, fait rage partout ailleurs dans le monde.

La définition de la laïcité n’a-t-elle pas muté depuis 1905 ?

Au siècle dernier, la laïcité a servi de vecteur au combat pour acquérir le droit générique de ne pas croire. Aujourd’hui, elle sert d’instrument à la revendication des croyances à faire valoir leurs droits spécifiques. Cette inversion relève du contresens calamiteux. Elle découle de la transformation du paysage religieux sous l’effet des flux migratoires et de la mondialisation. Pour des raisons constitutives, l’islam mais aussi la nébuleuse évangélique, qui enregistre la plus forte progression de fidèles au prorata, peinent à comprendre la séparation des ordres spirituel et temporel. Par un paradoxe qui n’en est pas un, c’est l’Église catholique, qui en a le plus connu la contradiction et la contrariété, qui sait le bien-fondé de la laïcité quand celle-ci n’est agie que par le souci de la paix civile.

Comment ont réagi les politiques français face à cette mutation ?

La date fatidique, c’est 1989, lors de la querelle du voile à l’école. Lionel Jospin alors ministre de l’Éducation nationale, renvoie aux chefs d’établissements la responsabilité de statuer au cas par cas. C’est l’acte de renoncement de l’État. Le contexte est à la judiciarisation et à la communautarisation. L’heure est à SOS-Racisme, aux lois mémorielles, à la compétition identitaire, puis victimaire. Depuis, l’État avance, recule et patauge à coups de commissions et de lois ambivalentes. Pris au tourment de la culpabilité, le voilà sommé par les politiques de promouvoir la différence et l’altérité, voire de la créer. Ce qui donne, à gauche, la longue cécité sur le nouvel antisémitisme des banlieues ou, à droite, la satisfaction empressée d’avoir promu un préfet « musulman » !

A quoi a conduit une telle idéologie ?

À cristalliser le regroupement communautaire sous une labellisation non pas culturelle, mais religieuse et à en faire un levier dans la conquête du pouvoir. Pensez à ces élus locaux qui ont encouragé l’islamisation des quartiers en couvrant d’argent public des imams qui, toutefois, ne sont pas devenus fondamentalistes sous l’effet de l’état d’urgence. Et que dire d’Olivier Besancenot faisant figurer des femmes voilées sur ses affiches électorales ? Sans doute imaginait-il que les émigrés d’origine musulmane offriraient à la révolution un prolétariat de substitution.

Que pensez-vous des querelles autour de l’Observatoire de la laïcité ?

Sur ce sujet, il faut donner raison à Manuel Valls contre Jean-Louis Bianco. Ce dernier a tourné l’Observatoire en une officine d’agréable fréquentation pour les salafistes. Qu’il ait crié à l’autorité autonome dans une missive sur papier à en-tête de Matignon dit le ridicule de sa prétention. En France, la politique informe le droit et non l’inverse, comme il en va dans les pays anglo-saxons. C’est une des leçons de la laïcité. Il faut également donner raison à Elisabeth Badinter quand elle pointe l’emploi facile du mot « islamophobie ». Il permet d’éviter la critique du fait religieux qui constitue, bien plus qu’une marque de l’esprit français, l’exercice philosophique par excellence. La vraie question est de savoir pourquoi les religions entrantes ont tendance à se conformer au modèle préexistant en termes de revendications et non pas d’obligations.

Faut-il réaffirmer que la France a des racines chrétiennes ?

La France est inconcevable sans l’Eglise catholique, cela se voit dans son histoire, ses paysages, ses représentations mentales, ses batailles politiques. Quant à l’appareil éducatif, médiatique, caritatif de l’Eglise, il est vital. Que l’on empêche les catholiques de faire la charité, et l’État devra doubler ses budgets de solidarité ! Une fois de plus ne mélangeons pas tout : la République française est laïque, les Français ont des convictions et une intimité. L’utilisation idéologique de la laïcité par la gauche et par l’extrême droite rallume la possibilité d’une guerre civile de basse intensité qui se traduira par la multiplication d’actes antireligieux. L’État, qui a toujours procédé avec force pour dire sa prééminence, a-t-il encore les moyens de sa politique alors qu’il ne paraît ne plus en avoir la volonté ?

Pourquoi une telle absence de volonté ?

Nous sommes en plein cauchemar d’une résurgence inattendue de la SFIO ! L’État de François Hollande, c’est un État colonial qui joue de la canonnière à l’étranger, jette l’armée dans la rue pour un semblant de sécurité, et pratique la logique des bantoustans à l’égard des minorités. François Hollande, c’est Guy Mollet. Cette même négation de la singularité de la France qui a précipité, en 1958, la refondation de la République. C’est ce vers quoi nous allons."

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