Revue de presse

"Islamisme, la grande détox" (Marianne, 21 juin 19)

Par Emmanuel Lemieux. 19 juillet 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Collectif, Histoire de l’islamisation française : 1979-2019, éd. L’Artilleur, 2019, 686 p., 25 e.

Philippe d’Iribarne, Islamophobie, intoxication idéologique, Albin Michel, 2019, 240 p., 19 €.

"Un document et un essai interrogent les effets de l’islam politique en France : les sympathies d’intellectuels qui tournent à la propagande, et les ressorts pervers du concept d’islamophobie.

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Histoire de l’islamisation française est un livre qui fait tout pour se faire détester : le sujet est explosif, le contenu, très dense, la conclusion, digne d’une alerte catastrophe, l’éditeur, carrément conservateur, et l’auteur, totalement anonyme. « Impossible de rencontrer qui que ce soit », nous barre le service de presse des éditions de l’Artilleur. Seul indice : le pavé de 688 pages a été rédigé par un journaliste qui « a lissé » tout le travail d’un collectif, nous précise-t-on. Précis, sourcé, documenté, pas hystérique, il n’en reste pas moins, même si la crainte de se faire pourrir par les réseaux sociaux musulmans militants est compréhensible, que ce livre mérite qu’on s’y plonge.

C’est une fresque musulmane qui se déroule dans la psyché française de 1979 à 2019. Comment des politiques et des journalistes, des spécialistes de l’islam et des intellectuels se sont-ils arrangés avec un phénomène religieux relativement récent ? Là où les débats publics et les réseaux sociaux peuvent donner une impression de sfumato naïf sans grands effets concrets, le fait de condenser tous ces propos tenus depuis quarante ans est la force de frappe impressionnante et l’effet de sidération redoutablement efficace de l’ouvrage. Il recense des décennies de tribunes arrangeantes, saillies délirantes, péroraisons péremptoires, arguments intimidants et analyses catégoriques, toutes interventions de sciences sociales très compréhensives qui concernent l’islam en France.

En 1979, le duo Serge July et Marc Kravetz, envoyés spéciaux de Libération (après avoir évincé les habituels journalistes beaucoup plus critiques de la révolution iranienne) dans le Téhéran du libérateur Khomeyni, ouvre le grand bal. Les journalistes se mettaient dans les pas confus du philosophe Michel Foucault, confondant avec la même euphorie le petit livre vert de ces nouveaux damnés de la Terre avec le « Petit Livre rouge » des années 70. Le voile ? Bof, une coquetterie culturelle, rien de plus. L’excitation foucaldienne et l’ignorance crasse de l’islam politique pouvaient encore passer par les pertes et profits d’une fin d’époque. Beaucoup moins folklorique est, au fil des décennies, l’esprit munichois du personnel universitaire, politique et médiatique français qui se solidifie, avec ses mandarins et ses réseaux d’influence et de co m. Des chiites de Téhéran aux banlieues sous tutelle, le lecteur peut apprécier le festival permanent des petits arrangements qui font la grande soumission. Il constatera également la pénibilité de la délibération politique quant à la place de l’islam français. La version optimiste et républicano-compatible de cette religion, symbolisée par un spécialiste comme Jacques Berque, a été mise en déroute par l’UOIF proche des Frères musulmans et les militants de l’islam radical. Leur refus absolu de reconnaître la liberté des consciences -et le droit à tout à chacun de changer de religion ou de conviction - est, depuis, un dogme.

Les nouveaux procès staliniens

Pour l’auteur anonyme, les années 2010 constituent un cliquet décisif de l’islamisation française. Le livre s’achève par ces propos tenus à la mosquée d’Orly en 2016 : « Qui a le droit de dire que, dans trente ou quarante ans, la France ne sera pas un pays musulman ? […] Personne dans ce pays n’a le droit […] de nous nier le droit d’espérer dans une société globale fidèle à l’islam. » Dit par Marwan Muhammad, qui n’est pas un astrologue, mais, à cette époque, responsable du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF).

L’islamophobie, voilà l’ennemie. Mais pas celle que Marwan Muhammad croit. Subtil, mais non moins cruel, le sociologue Philippe d’Iribarne dans son nouvel essai, fait un sort à ce concept. Argument de fond : « Le discours de l’islamophobie cherche à imposer la vision d’un Occident qui, ignorant la richesse multiforme du monde musulman, est hanté par une peur viscérale et une haine aveugle de celui-ci et de tout ce qui s’y rattache. » Les effets d’une telle idée sont désastreux et pervers, socialement et politiquement, soutient-il. Mais quelle mouche apiqué notre directeur de recherche du CNRS, élégant octogénaire au nom de chevalier de Basse-Navarre, d’ordinaire plus discret ? « Mon premier souvenir politique de jeunesse remonte à 1949, celui de l’affreux procès Kravchenko, du nom de ce transfuge soviétique violemment attaqué par les staliniens français et les intellectuels alliés. Or, j’ai retrouvé dans les arguments justifiant cette notion d’islamophobie ces mêmes procédés de trucage et de montage de la réalité », nous dit-il doucement, lors d’un entretien chez son éditeur.

La seconde raison est ses observations et ses études. Depuis des années, il voyage un peu partout dans le monde pour étudier l’impact des cultures nationales dans des organisations telles que les multinationales et les administrations. « J’ai été frappé par cette même résonance dans les pays arabo-islamiques, de la difficulté d’un pluralisme démocratique. Les questions des rapports homme-femme et des tolérances vis-à-vis des non-musulmans ne sont toujours pas résolues dans ces sociétés, observe-t-il. De plus, en France, l’héritage culturel maghrébin converge avec l’héritage musulman. La conception de l’honneur, qu’a très bien analysé Pierre Bourdieu en Algérie, induit que les musulmans refusent de courber l’échine, comme ils estiment que leurs parents l’ont fait lorsqu’ils sont venus travailler ici, dans la société d’accueil. »

La tolérance raisonnable de Mme Michu

Lecteur de Montesquieu, Philippe d’Iribarne cherche la concorde et l’altérité. Cette paix civile ne se fera certainement pas avec la « fable de sociétés islamophobes » : « L’islamophobie est une doctrine perverse qui cherche à laver le cerveau des croyants. Dans l’univers occidental, les musulmans s’affirment nettement, contrairement à ce que ce concept détestable cherche à faire croire. Mme Michu est raisonnable et nuancée avec la religion musulmane, sachant en distinguer clairement les diverses manifestations, pratiques et dérives. Ceux qui observent le principe du carême peuvent comprendre ceux qui pratiquent le ramadan. »

Nuancé et tolérant ? « Dans la réalité postmoderne, ce qui compte est d’être solidaire de celui qui est différent. L’idéologie du politiquement correct exige une société totalement inclusive. Pourtant, inclusif ou pas, dans ce monde occidental, il y a bien un refus catégorique, massif et puissant de l’ordre social islamique. Le statut de la femme dans l’islam et le refus de la liberté de conscience, ça ne passe pas ici. »

Les musulmans qui utilisent l’arme paranoïaque de l’islamophobie s’enferment : « Ils se déresponsabilisent et ne se justifient qu’en victimes. » Dans la concurrence des idéologies du XXIe siècle, l’islam politique sécrète ses venins hallucinatoires et anesthésiants. « Pour tous nous en sortir d’une manière aussi positive que possible, il faut veiller à l’amour de la vérité des faits », indique Philippe d’Iribarne. Rendez-vous dans quarante ans."

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