Revue de presse

Islam : "Les réseaux fréristes sous pression des autorités" (liberation.fr , 30 juil. 20)

17 août 2020

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"L’un des fleurons de la mouvance des Frères musulmans est sous le coup d’une enquête préliminaire : la justice, selon « le Parisien », s’interroge sur les sources de financements de l’Institut d’études en sciences humaines.

Par Bernadette Sauvaget

Un vent de tempête commence à souffler sur les réseaux des Frères musulmans en France, de plus en plus mis en cause par le gouvernement. Selon le Parisien, une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Bobigny pour « abus de confiance » et « recel d’abus de confiance » visant la gestion de l’Institut d’études en sciences humaines (IESH), situé à Saint-Denis, l’un des fleurons de la mouvance frériste en France.

L’établissement privé, qui scolarise entre 1 500 et 2 000 élèves, est très réputé pour son enseignement de la langue arabe. « Il est fréquenté aussi par des non-musulmans attirés par l’excellence de la formation », souligne un avocat proche des milieux musulmans. Un système d’équivalences existe d’ailleurs avec l’Education nationale, qui permet aux diplômés de l’IESH d’être admis au niveau de la licence à l’université. L’IESH propose aussi des filières d’études théologiques et coraniques.

L’offensive lancée contre l’IESH atteint notamment Ahmed Jaballah, le directeur pédagogique et doyen de l’établissement, connu au-delà de l’Hexagone. C’est l’une des figures les plus respectées et influentes de Musulmans de France (ex-UOIF), proche de la confrérie des Frères musulmans. Contacté par Libération, Jaballah, qui fut président de l’UOIF de 2011 à 2013, n’a pas donné suite.

Les autorités françaises mettent-elles la pression sur l’établissement ? Cela y ressemble fortement. A l’automne, les locaux de l’IESH ont déjà fait l’objet d’un contrôle inopiné de sécurité. Dans la foulée, le préfet de Seine-Saint-Denis en a ordonné la fermeture fin novembre. En louant des salles, notamment dans un lycée privé musulman à Paris, l’IESH a pu, bon an mal an, continuer de fonctionner.

Ces démêlés administratifs et judiciaires risquent de peser sur les projets de l’établissement. Ses locaux doivent être abattus et reconstruits, une opération de plusieurs millions d’euros qui devrait comprendre des logements pour les étudiants. Plusieurs appels à dons ont été lancés et un fonds de dotation a été créé pour assurer le financement.

Selon une source proche du dossier, des discussions ont bel et bien eu lieu avec la Qatar Foundation, un organisme qatari qui finance de projets musulmans dans le monde entier, notamment la construction d’un important centre islamique à Mulhouse (Haut-Rhin). « Elles ont tourné court car la contrepartie posée par la Qatar Foundation était de s’assurer la propriété du bâtiment », assure cette source. Selon le Parisien, les autorités s’interrogeraient sur « des transferts financiers récents entre les pays du Golfe, Koweït et Qatar, et l’IESH ».

« On tire sur une ambulance », estime une source proche des milieux musulmans. Face à la montée en puissance de la galaxie salafiste, les milieux fréristes liés à Musulmans de France ont perdu du terrain. L’ex-UOIF n’a pas réussi à faire monter de nouvelles générations. En clair, la relève n’est pas là. Aujourd’hui, l’essentiel de son influence réside dans le soft power qu’elle exerce en matière d’éducation. L’organisation, fidèle en cela à la pensée du fondateur de la confrérie, l’Egyptien Hassan al-Banna, a été pionnière dans l’ouverture d’écoles confessionnelles musulmanes. Une trentaine se situerait actuellement dans l’orbite de Musulmans de France.

A Lille, le lycée Averroès, ouvert en 2003 et désormais sous contrat avec l’Education nationale, a fait l’objet, d’après l’un de ses dirigeants, d’un contrôle fiscal au début de 2020. Selon un expert des milieux musulmans, les autorités politiques s’inquiètent de la montée en puissance de ce réseau d’écoles confessionnelles. « L’un des moyens de contrer cette expansion est de refuser le passage sous contrat avec l’Education nationale », explique une source au ministère de l’Intérieur. En 2012, le lycée Averroès s’est agrandi d’un collège mais celui-ci, selon l’un de ses dirigeants, reste toujours hors contrat malgré une demande formulée il y a trois ans.

Dans une interview publiée le 24 juillet dans le Figaro, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, chargé des cultes, a fermement mis en cause ce qu’il a appelé « l’islam politique » et les Frères musulmans, considérant que leur « réseau » était « aussi dangereux » que le salafisme. Fin juillet, un rapport du Sénat a également pointé fermement du doigt la mouvance frériste, soupçonnée de favoriser le terrain de l’islam radical. « Il n’y a pas d’islam politique en France », rétorque, à Libération, Amar Lasfar, président des Musulmans de France et cofondateur du lycée Averroès. Ce dernier dément aussi que Musulmans de France soit une branche de la confrérie des Frères musulmans… tout en reconnaissant se situer dans ce courant de pensée.

Quoi qu’il en soit, Musulmans de France et les réseaux fréristes de l’Hexagone risquent d’être affaiblis à travers la mise en cause de l’IESH. Tout en clamant sa confiance dans la justice, Lasfar redoute, lui, une manœuvre politique. « L’élection présidentielle se fera encore sur le dos des musulmans, s’insurge-t-il. Avec l’épidémie du Covid-19, nous avons eu un peu de répit. Mais c’est terminé. Si les questions de sécurité sont ainsi mises en avant, c’est pour arracher des voix au Front national. » Promise par le président de la République et le Premier ministre, la bataille contre ce que l’exécutif appelle le « séparatisme islamiste » a déjà commencé. Avant même le vote de la loi annoncée le 15 juillet, dans son discours de politique générale, par le Premier ministre Jean Castex."

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