Revue de presse

"Immigration : pourquoi la gauche française est-elle si "no border" ?" (Marianne, 26 sept. 24)

(Marianne, 26 sept. 24). 30 septembre 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

JPEG - 18.5 ko

Lire "Immigration : pourquoi la gauche française est-elle si "no border" ?".

Amnésie

Immigration : pourquoi la gauche française est-elle si "no border" ?

À rebours de l’opinion publique et des autres gauches européennes, la gauche tricolore se refuse dans sa grande majorité à tenir l’équilibre qui fut pourtant le sien entre intégration et régulation de l’immigration.

Par Louis Nadau

Un suicide politique. Pour la gauche française, durcir le ton sur l’immigration reviendrait tout simplement, pense-t-elle, à se couper de son socle électoral. « Il n’y a qu’à voir Roussel : c’est le candidat préféré de ceux qui ne voteront jamais pour lui », pointe un socialiste. L’examen détaillé du sondage réalisé par l’institut Cluster17 sur la loi Immigration en décembre 2023 semble donner raison à notre source.

Cette étude révélait une rupture très nette entre trois des quatre grandes familles sociologiques de la gauche (multiculturalistes, sociaux-démocrates et progressistes, 17 % de la population à eux trois) et le reste de la société française. Un exemple parmi d’autres : alors que 71 % des sondés se déclaraient favorables à l’instauration de quotas annuels d’immigration fixés par le Parlement, cette mesure était nettement désavouée par ces trois groupes : à 93 % chez les multiculturalistes, à 70 % chez les progressistes et 52 % chez les sociaux-démocrates.

Superbe isolement
Ce superbe isolement vaut désormais sur la scène internationale. Allemagne, Suède, Danemark, Royaume-Uni, Espagne, États-Unis : sans sombrer dans un discours xénophobe, les gauches de ces pays souhaitent contrôler davantage et réduire les flux migratoires. Le contraste avec les positions de la gauche française est saisissant.

Si l’on se penche sur le livret consacré à l’immigration de La France insoumise – tout comme sur le programme du Nouveau Front populaire –, il n’est jamais question de refuser de nouvelles entrées sur le territoire national. LFI appelle de ses vœux un système d’asile « déconnecté des politiques migratoires et non soumis aux impératifs de gestion des flux migratoires », et souhaite « mettre fin aux opérations de Frontex, dont les missions et les actions ne sont pas compatibles avec le respect des droits fondamentaux ». Contacté, Arnaud Le Gall, député LFI siégeant à la commission des Affaires étrangères, n’a pas répondu à nos questions.

Pour finir de se convaincre du tabou spécifique pour la gauche française que constitue l’immigration, il faut se souvenir de l’explosion en vol de la campagne d’Arnaud Montebourg, lorsque ce dernier a proposé de bloquer les transferts d’argent privés vers les pays refusant de rapatrier leurs ressortissants visés par une obligation de quitter le territoire français (OQTF), de la tempête provoquée par le secrétaire général du Parti communiste français, Fabien Roussel, après qu’il a reproché à ceux qui « ont signé des traités de libre-échange à tour de bras » d’avoir « transformé nos frontières en passoires », ou des déclarations de la tête de liste insoumise aux élections européennes, Manon Aubry, lorsqu’elle était interrogée en juin sur le nombre de personnes concernées par la création, voulue par LFI, d’un statut de déplacé climatique. « Il n’y a pas de chiffres, parce que c’est notre devoir d’humanité qui commande », répondait-elle.

Derniers épisodes en date : ce mardi sur BFMTV, la candidate à Matignon du NFP, Lucie Castets, déclarait : « Je suis pour une régularisation des sans-papiers. Tous les sans-papiers. » . Le surlendemain, l’écologiste Sandrine Rousseau, interrogée par France Inter sur le meurtre de Philippine au bois de Boulogne, dont l’auteur présumé fait l’objet d’une Obligation de quitter le territoire français (OQTF, une mesure administrative d’expulsion), avait quant à elle cette réponse : « Quand j’entends que le sujet c’est l’OQTF, je m’inquiète quand même du fait que nous ayons aucune espèce de considération sur le fait que ce type est dangereux, manifestement, puisqu’il a tué Philippine, et que s’il était dans un autre pays il serait tout aussi dangereux, et il mettrait tout autant en danger d’autres femmes. »

« Une véritable amnésie »
Comment expliquer cette particularité de la gauche tricolore ? Sur le plan des idées, on peut avancer plusieurs explications complémentaires. La première tient évidemment à la spécificité de l’histoire coloniale française : le socle idéologique universaliste – l’intégration à la nation française étant synonyme d’élévation du citoyen – a été entaché durablement par son dévoiement au service de ce que la IIIe République appelait sa « mission civilisatrice ». Cet autre « passé qui ne passe pas » pèse doublement : sur le plan mémoriel d’une part, et personnel d’autre part, de nombreux citoyens ou leurs proches ayant fait l’expérience de la colonisation.

Il y a ensuite le refus d’une vision utilitariste de l’immigration – d’où le rejet de l’immigration « choisie » –, puisant à la fois aux sources du marxisme – les immigrés ne peuvent être une armée de réserve du capital – et de l’humanisme. Ce même refus fondait pourtant la conviction que l’immigration devait être régulée chez les pères fondateurs de la gauche française. Dans son ultime article, Jaurès écrivait ainsi : « Il n’y a pas de plus grave problème que la main-d’œuvre étrangère. »

Enfin, le virage idéologique opéré par le Parti socialiste après le tournant de la rigueur de 1983 met un dernier clou sur le cercueil de ce qui était jusqu’alors l’équilibre de la gauche, la bonne conscience de « Touche pas à mon pote » faisant office de doctrine politique une fois la lutte des classes passée aux oubliettes. « Malheureusement, à gauche, le tournant idéologique pris dans les années 1980 conduit à une véritable amnésie : le discours sur la régulation de l’immigration semble oublié et chaque tentative de renouer avec lui est systématiquement assimilée à un discours raciste et d’extrême droite », constate ainsi la Fondation Jean-Jaurès dans une note de janvier 2024 consacré au sujet.

Si le PCF a en partie renoué avec un discours volontariste sur le thème de l’immigration, un aggiornamento socialiste est-il envisagé ? « Nous sommes les champions du monde de l’autoflagellation, répond le député socialiste Arthur Delaporte. Le travail, la sécurité, l’immigration, nous en parlons. Certes, pas de manière simpliste, mais nous en parlons. »

En off, l’entourage du premier secrétaire, Olivier Faure, est plus offensif : « Accueil, intégration, régulation : c’est notre discours actuel, alors que l’ordre de priorité des Français est inverse. » Et notre interlocuteur de conclure : « En 2009, on a esquivé le débat sur l’identité nationale, évidemment lié à la question de l’intégration, en pensant qu’il était piégé par nature. Résultat : on n’a rien pensé sur le sujet depuis quinze ans. » Par contraste, Jean-Luc Mélenchon et la gauche radicale ont, quant à eux, théorisé une « nouvelle France créolisée », d’inspiration multiculturelle. Celle-ci pose toutefois une question cruciale pour l’ensemble de la gauche : après avoir renoncé à réguler, se refusera-t-elle à intégrer ?


Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
Voir les mentions légales