Iannis Roder, professeur agrégé d’histoire, en réseau d’éducation prioritaire, directeur de l’Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean-Jaurès, membre du Conseil des sages de la laïcité de l’Education nationale. 4 juillet 2024
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Lire "Les larmes de Marine Tondelier, reflet de la déconnexion parisienne".
"Elle a les larmes aux yeux Marine Tondelier, la secrétaire nationale des Écologistes, étreinte par l’émotion quand elle apprend, en direct dans la matinale de France Inter de ce 1er juillet, que Bruno Le Maire ne donnera pas son accord pour un désistement systématique en faveur du candidat le mieux à même de battre le RN au second tour le 7 juillet. Alors elle s’emporte en ce lendemain de premier tour. Elle s’emporte contre ceux qui choisissent d’être regardants avant de se désister quand le candidat de la gauche est issu de LFI. Ils vont favoriser la victoire du RN, s’indigne-t-elle. Elle en est convaincue et la colère la submerge.
Quand le fascisme est à nos portes (même si Thomas Legrand préfère parler d’"illibéralisme" dans Libération du 1er juillet), il n’est plus temps de querelles byzantines ! il n’est plus temps de discourir sur le sexe des anges ! Il y a une hiérarchie des priorités ! Et Marine Tondelier de ne pas comprendre qu’on ne le comprenne pas. Et elle le dit clairement à Nicolas Demorand quand celui-ci revient à la charge en lui demandant ce qu’elle pense de la présence, calculée bien évidemment, de Rima Hassan en keffieh derrière Jean-Luc Mélenchon lors de sa prise de parole le soir du premier tour. Réponse sèche : « Je m’en fous ! », comme pour mieux signifier encore que tout cela n’a guère d’importance six jours avant la fin du monde. Pour elle, de toute évidence, cela ne compte pas.
« Chavez français »
Mais Marine Tondelier est femme politique et la hiérarchie des urgences ne devrait pas lui faire perdre de vue que les symboles jouent un rôle politique essentiel à l’heure des choix. Elle veut absolument, souhait légitime, faire battre le RN au second tour afin de le priver de la majorité absolue. Mais Jean-Luc Mélenchon, bien qu’il dise qu’aucune voix n’ira au RN, semble souhaiter la victoire du RN, en claironnant que la gauche, contre toute évidence politique, peut décrocher cette fameuse majorité absolue qui en ferait le futur Premier ministre, et en affichant Rima Hassan et son keffieh.
Son but ? Effrayer. Effrayer les centristes modérés qui ont choisi un candidat macroniste au premier tour mais également ceux qui ont choisi la droite et ne se verraient jamais voter pour un Chavez français en puissance. Tout cela est calculé, mis en scène, théorisé. Mais Marine Tondelier dit qu’elle s’en fout. Elle se fout également des gens que cette obsession de la Palestine inquiète, elle se fout des Français juifs qui se sentent insécurisés par ces discours incessants et par les agressions qui en découlent. L’antifascisme d’aujourd’hui a jeté les juifs avec l’eau du bain des urgences.
D’ailleurs elle n’est pas la seule, Marine Tondelier, à se foutre des saillies antisionistes ou antisémites de LFI. Les Parisiens aussi s’en foutent, sûrement là aussi face à l’urgence d’empêcher le RN de conquérir des sièges de députés à Paris où il oscille le plus souvent entre 7 et 11 %. Élus au premier tour les Obono, Caron et Chikirou, prompts à ne pas considérer le Hamas islamiste comme un mouvement terroriste, voire à le regarder comme on regarde, émus, l’Affiche rouge. Hop ! Par-dessus bord les massacres du 7 octobre, les victimes civiles israéliennes, les femmes violées, les bébés enlevés tout comme les outrances obsessionnelles et répétées de ces élus. Hiérarchie des urgences, vous dis-je ! Et l’urgence c’est de faire barrage au fascisme, ici et là-bas.
Bulle parisienne
C’est d’ailleurs très étonnant ce décalage de Paris intra-muros avec la province. Le RN reste bien en deçà des scores réalisés ailleurs en France, la gauche de la gauche remporte des circonscriptions au premier tour dans des quartiers socialement mixtes où les bobos côtoient, au marché du dimanche – moins au collège et au lycée – les populations issues de l’immigration, où les problèmes de temps de transport domicile-travail, du prix de l’essence ou de l’électricité, d’accessibilité de services publics, à la médecine libérale n’existent pas ou presque ; où le malaise et la pénibilité au travail consistent, pour beaucoup, à savoir s’il y a encore des capsules pour la machine à café de l’open space de loisirs et détente et si le CE fait des offres pour le Festival d’Avignon.
Il est d’ailleurs fort probable que les réalités qui poussent les habitants des départements périurbains ou ruraux à voter pour Bardella et consorts échappent aux électeurs d’Aymeric Caron ou de Danièle Obono… Je ne sais pas si les Parisiens se donnent bonne conscience en élisant ces antifascistes patentés. Ce que je sais, en revanche, c’est combien Paris est une bulle, totalement déconnectée de ce que vit la province. Et plutôt que de regarder en face ce que vivent ces autres Français afin, peut-être, de tenter d’apporter des réponses à leurs difficultés ou à leurs questionnements, de mettre en interrogation certains thèmes qui touchent au sentiment d’abandon, de déclassement mais aussi d’insécurité quelle qu’elle soit, Paris prétend systématiquement donner le la, à commencer par le la moral, celui qui nous dit ce qu’il faut penser et comment, celui qui est prompt à prodiguer ses leçons et ses réprimandes, celui qui pense qu’il a toujours raison.
Alors visiblement les Parisiens se foutent, comme Marine Tondelier, du keffieh de Rima Hassan si bien mis en valeur à la télévision. Mais les Français, entre autres ceux qui votent RN, eux, ils ne s’en foutent pas car ce dont ils se foutent, c’est plutôt de la Palestine. Ils ne comprennent pas qu’on en fasse, ici, quand ils se sentent délaissés, un sujet omniprésent qui vire à l’obsession, ils ne supportent pas ces hurlements propalestiniens lors des manifs de la gauche (même lors des manifs contre la réforme des retraites !). Mais Marine Tondelier a peut-être raison de s’en foutre car après avoir échoué à convaincre ces Français, chez elle, à Hénin-Beaumont, où elle fut balayée par Marine Le Pen en 2022, elle viendra peut-être se trouver un jour un siège de députée à Paris. C’est plus sympa de s’en foutre au chaud, entre nous."
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